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ils appliquèrent contre le rempart les échelles et commencèrent à l’escalader. Déjà même un porte-enseigne avait planté l’étendard épiscopal sur le mur; mais les Münstérois, informés depuis la veille des desseins de l’ennemi, étaient sur leurs gardes, et, s’ils avaient laissé les assaillans s’approcher ainsi, c’était pour mieux les accabler de leurs projectiles. La place du marché était, comme de coutume, occupée par le corps d’élite que commandait Jean de Leyde en personne, et qui avait pour mission de se porter aux endroits les plus menacés. Derrière les remparts se tenait tout ce qu’il y avait de jeune et de valide, armé de mousquets et d’arcs. Les femmes traînaient avec elles de grands chaudrons remplis de poix bouillante et de chaux vive pour les répandre sur les assiégeans. Les soldats de l’évêque ne furent pas plus tôt grimpés aux échelles qu’un feu terrible, une nuée de flèches lancées par des mains très habiles, des torrens de matières brûlantes plurent sur leurs têtes; il fallut reculer, et l’entreprise avorta complètement. Les assiégeans avaient perdu beaucoup de monde, ils rentrèrent dans leur campement. Ce succès enivra les anabaptistes, et le prélat, n’ayant plus que des forces insuffisantes, dut recourir à de nouvelles levées et songer à un autre système d’attaque.

Les Münstérois s’imaginaient d’autant plus être invincibles que les nouvelles qu’on leur apportait du dehors annonçaient l’arrivée prochaine de renforts. Les anabaptistes des Pays-Bas, en dépit de la persécution ordonnée contre eux, avaient relevé la tête; ils s’apprêtaient, assurait-on dans Münster, à délivrer la nouvelle Jérusalem. L’écrit que Rothmann venait de composer sur la miraculeuse élévation de l’église des justes circulait en Néerlande, et il ne contribua pas peu à y entretenir l’effervescence. En octobre, une émeute provoquée par les sectaires éclatait à Amsterdam au moment où le stathouder venait recevoir le serment de fidélité du bourgmestre et des magistrats. Deux des chefs de leur communauté, Jean van Wy et Jean van Scellincwoude, pénétreront jusqu’au milieu de l’assemblée communale à travers les rangs de la milice bourgeoise, et sommèrent l’autorité d’exiger que les citoyens qui avaient été emprisonnés pour cause d’anabaptisme fussent élargis. Ces deux hommes poussèrent la hardiesse jusqu’à défier les magistrats de mettre la main sur eux, déclarant qu’il y avait là 1,500 frères tout prêts à prendre leur défense, et cette attitude résolue en imposa; il ne fut rien tenté contre leur liberté. Les anabaptistes étaient d’ailleurs favorisés par l’opposition que la cour de Hollande rencontrait chez les luthériens et les sacramentaires d’Amsterdam; l’agitation persista jusqu’à l’entrée en fonctions d’un nouveau bailli (schout); celui-ci était bien décidé à sévir contre toute