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voulut-il l’avoir pour épouse. Comme il n’entendait pourtant pas répudier sa propre femme, il décida le rétablissement de la polygamie, et il s’unit à Divara. Cet hymen produisit toutefois quelque scandale; il indigna les moins fanatiques, tandis que d’autres s’en autorisèrent pour se livrer à tous les caprices de leurs passions. Il se forma bientôt un parti résolu à s’opposer à un tel débordement d’innovations et à remettre en vigueur l’ancienne constitution municipale. Un complot s’ourdit contre le prophète. On devait s’emparer de sa personne. A la tête était un forgeron nommé Mollenhök, homme énergique; mais le secret fut éventé. Les conjurés, poursuivis par la populace, se réfugièrent à l’hôtel de ville. On cerna l’édifice; les femmes amenèrent du canon. Mollenhök et ses compagnons furent réduits à se rendre. On n’épargna aucun des prisonniers : les uns eurent la tête tranchée, les autres furent attachés à des arbres et percés de flèches. Le prophète présidait en personne à l’exécution. Il sentait que ce n’était que par la terreur qu’il pouvait retenir sous sa domination une population où tant de gens commençaient à en être fatigués. C’était là au reste un régime que Mathys avait déjà inauguré. Un jour, il avait fait mettre sur-le-champ à mort un forgeron qui ne répondait à ses ordres que par des paroles méprisantes. Son successeur ne se borna pas à un seul exemple de pareille cruauté; il condamnait impitoyablement, et Knipperdollinck exécutait ses sanguinaires arrêts. On voyait l’ancien bourgmestre de Münster se promener dans la ville le glaive en main, suivi de quatre satellites, et se jetant pour les égorger sur ceux que le prophète lui désignait.

Bockelsohn n’était pourtant pas encore satisfait de la situation à laquelle il était arrivé. Le pouvoir absolu ne lui suffisait pas; il voulait jouir des honneurs des royautés de ce monde, et, pour se les faire attribuer, il procéda comme d’ordinaire, en poussant l’un de ses séides à proposer au peuple, comme par l’effet d’une inspiration de Dieu, de conférer au prophète des prérogatives nouvelles. Un orfèvre de Warendorf, nommé Dusentschuer, annonça que l’Éternel lui avait révélé que son vicaire Jean devait être appelé à la royauté et représenter la puissance du Christ sur la terre. Rothmann, toujours prêt à appuyer chaque nouvelle folie, affirma la vérité de la prophétie, assurant que Dieu lui avait fait pareille révélation; le roi devait, ajoutait-il, être entouré de grands dignitaires qui rehausseraient l’éclat et la majesté de son trône. L’ancien chapelain de Saint-Maurice tira de sa poche la liste de ceux qui devaient composer la nouvelle cour : il y figurait en tête. Il la lut à haute voix devant le peuple assemblé, qui applaudit à ces nominations. Chacun de ces grands officiers de la couronne avait un titre particulier. Roth-