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II.

Knipperdollinck, ce constant instigateur de tous les troubles, cette tête ardente qui avait suivi ou plutôt devancé Rothmann dans son évolution religieuse, salua le nouveau prophète avec transport, et lui donna l’hospitalité dans sa propre maison. Mathys se montra comme un véritable messie à Münster, et recueillit, les témoignages de l’admiration d’une foule imbécile. Les femmes surtout se déclaraient en sa faveur, elles firent le fond de ses premiers prosélytes. On voyait parmi elles des nonnes que les récens événemens avaient arrachées à la règle de leurs couvens et qui accouraient pour recevoir le baptême des mains du prophète; des épouses s’empressaient de déposer à ses pieds leurs bijoux et leurs parures, décidées qu’elles étaient à ne plus revêtir que la modeste accoutrement des frères. Bien des hommes qui avaient d’abord résisté à ce fol entraînement finirent par le partager. L’exemple de Rothmann agit sur nombre de ceux qui continuaient à se diriger par ses inspirations.

Le sénat luthérien se trouvait maintenant dans la même situation que le chapitre de la cathédrale trois années auparavant; il n’attendait plus de salut que de l’intervention des troupes épiscopales. Cependant la partie saine et raisonnable de la population l’emportait encore par le nombre, et les anabaptistes se voyaient contraints d’user d’une certaine réserve. Le 8 février, le bruit se répandit que l’évêque, à la tête d’une force militaire et appuyé par les gens de la campagne, s’approchait de la ville. Les sectaires coururent à la place du marché, tandis que le sénat faisait occuper les portes et les remparts. Pour réprimer le mouvement insurrectionnel que préparaient les gildes et la populace, acquise presque en entier à Mathys et à ses lieutenans, du canon fut braqué contre l’attroupement du marché. La position prise par l’autorité était si solide que les conservateurs ne doutaient pas qu’ils n’eussent raison des perturbateurs, et que la répression n’aboutît à la défaite et à l’expulsion des anabaptistes. Déjà tous ceux des habitans qui étaient opposés aux sectaires suspendaient au-devant de leurs maisons des tresses de paille destinées à les faire reconnaître et à les préserver des vengeances des soldats de l’ordre, mais une conviction inébranlable soutenait le courage des anabaptistes, réunis au marché. L’esprit troublé par les visions les plus étranges, ils s’imaginaient voir à leur tête tantôt un personnage mystérieux portant une couronne d’or, ayant une épée dans une main et une verge dans l’autre, tantôt un fantôme dont la main était toute dégouttante de sang. A plusieurs, la ville apparaissait comme dévorée par un sombre in-