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Jérusalem, et on les voyait bientôt aux portes de Münster : ils y apportaient des germes chaque jour plus avancés de dissolution et de mort. Depuis l’arrivée de ces émigrés, tous les liens qui unissaient les habitans tendaient à se briser; les familles qui avaient jusqu’alors vécu dans la concorde et l’amour se divisaient, les époux se séparaient, les amis renonçaient à tout commerce, les relations d’affaires cessaient brusquement, le marchand rompait avec sa pratique, l’ouvrier avec son patron. Cependant le calme extérieur semblait régner encore dans la ville, mais c’était la lente désorganisation de la vie qui précède les convulsions de l’agonie. L’inquiétude était d’ailleurs au fond des cœurs de tous ceux que la contagion n’avait pas atteints. L’autorité municipale ne savait que faire et restait inactive, tandis que les anabaptistes poursuivaient leur fatale propagande. Plusieurs des principaux bourgeois, jugeant la position désespérée et tremblant pour leur vie, quittèrent la ville. Van der Wieck fut de ce nombre. Les pasteurs luthériens qui se refusaient à prendre ce parti imploraient l’assistance du landgrave, comme jadis les catholiques avaient imploré celle de l’évêque.

Quand la consternation et le découragement se furent ainsi emparés de tout ce qui pouvait résister aux fanatiques, les anabaptistes jugèrent le moment opportun pour frapper leurs ennemis, ou, comme ils disaient, pour nettoyer l’aire, où ne devait rester que le bon grain. C’était au grand prophète de Harlem qu’il appartenait d’accomplir l’œuvre sainte. Les sectaires députèrent en conséquence près de lui, à Amsterdam, pour l’engager à se transporter parmi eux. Pendant ce temps-là, tout se préparait dans la cité westphalienne pour l’exécution du projet dont Bockelsohn était l’actif promoteur. « Malheur! malheur! allaient criant par les rues les plus exaltés; faites pénitence, convertissez-vous, car le jour du Seigneur est proche! » La démarche des envoyés de Münster ne pouvait manquer de réussir. L’attention de la cour de Hollande était appelée une nouvelle fois sur les agissemens de la secte. Un des pasteurs anabaptistes, ex-prêtre catholique, s’était laissé arrêter. Conduit à La Haye, il avait révélé les noms de plusieurs de ses coreligionnaires. Un rapport détaillé venait d’être adressé à la régente à Bruxelles. La tête des ministres anabaptistes était mise à prix. Une persécution terrible s’annonçait dans les Pays-Bas. Mathys s’empressa de se rendre à l’invitation qui lui était apportée. il quitta Amsterdam, et vint rejoindre à Münster les nombreux disciples qui l’avaient précédé.