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réunions du bien dire la place des défis de poésie et d’éloquence, Jean Bockelsohn s’y signala par son ardeur de prosélytisme luthérien et son hostilité contre l’église. Il se plongea dans la lecture de la Bible, et, dépourvu des lumières nécessaires pour en comprendre le sens, il s’abandonna aux spéculations théologiques les plus étranges et aux idées les plus malsaines. Sous prétexte que la parole de Dieu a été écrite pour tous, tout chrétien réformé se croyait alors le droit d’expliquer la sainte Écriture et de résoudre les questions dogmatiques qui avaient embarrassé les docteurs les plus érudits et les plus habiles. Il en était en ce temps de la religion comme il en est de nos jours de la politique. Chacun se regardait comme compétent, et, sans étude préalable, on décidait avec assurance, la Bible à la main, à la façon dont tant de gens prononcent maintenant sur les lois, les affaires diplomatiques ou les finances, sans autre information qu’un article de leur journal. Quand Mathys se prétendit inspiré, Jean Bockelsohn se fit son ardent disciple et son vicaire infatigable en attendant qu’il pût être son successeur. Le tailleur de Leyde ne rêva plus que rénovation de l’humanité, qu’extermination des impies, car, à la différence de Hofmann, qui recommandait la soumission aux autorités terrestres, qui n’en appelait, pour fonder le règne de la justice, qu’à la persuasion, qui condamnait la violence et attendait de la seule action divine la régénération des chrétiens, Mathys déclarait la guerre à toutes les institutions et prêchait la révolte. Sa mission, celle de ses frères était, disait-il, d’opérer par la destruction radicale de l’ordre présent des choses la reconstitution de l’église. Le temps de l’affliction des saints était passé selon lui, celui de la moisson arrivait, et il ajoutait : « Dieu s’apprête à délivrer son peuple, à terrasser ses ennemis; il le fera par les mêmes moyens que ceux-ci ont employés pour opprimer les fidèles. On ne doit donc pas seulement prendre les armes pour repousser les attaques des impies, mais encore pour courir sus; l’épée sera tournée contre ceux qui l’ont tirée. » Ces odieuses déclamations, Mathys les appuyait de citations d’Isaïe, d’Ezéchiel et de l’Apocalypse. A peine fixé dans Münster, Jean Bockelsohn enjoignit, conformément à l’enseignement de son maître, à tous les fidèles de rompre absolument tout commerce avec ceux qui ne reconnaissaient point sa mission, impies auxquels on ne devait que des malédictions et des paroles de colère, car il était interdit à un chrétien de servir un païen, d’où résultait qu’aucun frère ne devait s’occuper d’évangéliser les infidèles. Pour briser tout lien entre eux et les vrais croyans, défense était faite par le prophète de consacrer aucun hymen où les deux époux ne se soumettaient aux volontés de Dieu manifestées par le nouveau baptême. La séparation