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en chef, et ici dans l’obscurité, dans ces conflits de directions contraires, dans ces froissemens secrets et incessans d’un commandement toujours disputé, ici se nouait la tragédie militaire qui allait s’accomplir.

Il y avait deux plans en présence. Le général d’Aurelle avait le sien, cela n’est pas douteux ; il ne le publiait pas tout haut, il avait certainement raison. Son plan à lui était de s’enfermer pour le moment dans les lignes de défense d’Orléans et d’y attendre l’ennemi. Il aurait désiré concentrer le plus possible toutes les troupes dont on disposait, de façon à les organiser d’abord et à pouvoir ensuite coordonner leur action à l’heure voulue. De cette manière, avec les retranchemens dont on se couvrait, il se croyait en état de recevoir une attaque où les Allemands auraient commencé dans tous les cas par essuyer les pertes les plus graves, — et après une bataille défensive heureuse il pouvait s’élancer sur un ennemi déconcerté, éprouvé, peut-être rejeté en désarroi vers Paris. Dira-t-on qu’on ne l’aurait plus attaqué ? Ce n’était guère possible. Sans parler même du désir de réparer l’échec de Coulmiers, les Allemands ne pouvaient s’arrêter devant ce camp retranché de la France. Les retards ne leur auraient servi à rien, ils n’auraient profité qu’à notre armée, dont les forces, l’instruction, la discipline, les ressources matérielles, se seraient accrues de jour en jour. C’était là le plan du général d’Aurelle. M. Gambetta et M. de Freycinet, quant à eux, n’avaient qu’une idée, aller en avant sans plus attendre, marcher aussitôt sur Paris, qui « avait faim, » disait-on. Quel était le meilleur système ? La réponse n’était ni à Tours ni à Paris, elle était bien plutôt au camp ennemi, dans la situation des Allemands, dans les forces dont ils disposaient, dans leur intérêt du moment.

La vérité est que cette immobilité de l’armée française, dont les Allemands avaient été étonnés une première fois à la veille de Coulmiers et qu’ils retrouvaient devant eux le lendemain, recommençait à les inquiéter. Ils ne savaient trop à quoi s’en tenir, ils semblaient même un instant ignorer ce qu’était devenue réellement l’armée qui venait de se révéler à eux. Ils se mettaient néanmoins en mesure de faire face à tout. Le prince Frédéric-Charles pressait la marche de son armée, qui se composait des IIIe, IXe et Xe corps[1] avec deux divisions de cavalerie, et ces troupes, poussées rapidement, arrivaient le 17 et le 18 novembre à la hauteur d’Angerville sur la route de Paris, autour de Pithiviers et de Montargis. Dès ce moment, le prince Frédéric-Charles, établi lui-même à Pithiviers, avait sous la main plus de 60,000 soldats aguerris, exaltés par le succès, puisqu’ils venaient de Metz. Les Allemands étaient si peu confusion

  1. On indique les numéros des corps allemands en chiffres romains pour éviter toute confusion avec les corps français.