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A partir de ce moment, les Allemands restaient maîtres de cette zone d’Orléans à Chartres, qu’ils sillonnaient de toutes parts, exerçant des représailles sanglantes au moindre signe de résistance, détruisant de malheureux villages comme Ablis, où des uhlans et des hussards de Slesvig avaient été maltraités, bombardant et brûlant Châteaudun défendu par les volontaires parisiens de Lipowski, renouvelant en un mot les traditions de la guerre de trente ans en pleine Beauce. Dans l’est, le général de Werder, libre de ses mouvemens après la chute de Strasbourg le 28 septembre, était déjà en marche pour refouler le général Cambriels en s’ouvrant la route de la Saône et de Dijon. Quant aux forces françaises, à part les francs-tireurs, qui se répandaient un peu partout et qui harcelaient plus qu’ils n’arrêtaient l’ennemi, en dehors de l’armée de Metz, dont on ne savait rien si ce n’est qu’elle retenait encore devant elle 200,000 Allemands, tout se réduisait à ce 15e corps dont une partie venait d’être battue en avant d’Orléans et se repliait en toute hâte derrière la Loire pour ne s’arrêter qu’au fond de la Sologne. Si les Allemands s’étaient sentis plus forts ou avaient été plus hardis, ils pouvaient évidemment tenter une pointe sur Bourges ou sur Tours, ils n’auraient pas rencontré une résistance sérieuse et organisée. On en était là au 10 octobre, au lendemain de l’arrivée de M. Gambetta, et l’unique question était de savoir si le nouveau-venu portait réellement à la défense nationale la direction, l’impulsion qui lui avait manqué jusque-là.

Si jamais homme eut la chance d’arriver au bon moment, c’est M. Gambetta. Il avait pour lui la jeunesse, une parole vibrante, un patriotisme plein de feu et jusqu’à la couleur romanesque de son évasion de Paris à travers les airs. Ce qu’il y avait d’un peu merveilleux dans ce voyage en ballon parlait à l’imagination publique, et faisait au nouveau représentant de la défense une sorte de popularité qui pouvait l’aider singulièrement. Ce qui est certain, c’est que les circonstances lui créaient un rôle exceptionnel, c’est qu’il avait été envoyé justement pour suppléer à l’insuffisance de la délégation de province, et que dans cette situation il pouvait beaucoup. A peine arrivé, il se mettait à l’œuvre, prenait hardiment le ministère de la guerre et le ministère de l’intérieur, appelant auprès de lui un ingénieur, M. de Freycinet, qu’il décorait du titre assez étrange et assez vague de délégué du ministre de la guerre. Par le fait, c’était une vraie dictature politique et militaire. Assurément les difficultés étaient immenses, elles étaient d’autant plus graves que les plus simples élémens d’organisation manquaient, qu’on était souvent réduit à procéder au hasard. On n’avait ni dossiers du personnel de l’armée, ni états du matériel, ni cartes de la France. Tout était resté à Paris, et s’il y avait à Tours un ministre