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est dans un état de fièvre chaude dont elle reviendra ; mais que de débris en perspective ! Reverrai-je M. le duc de La Force et M. de La Grange ?


Paris, samedi 20 mai 1849.

À tout hasard, je vous écris ; le pis-aller, c’est que ma lettre courre après vous de Paris à Blaye, puis de Blaye à Paris. Demain j’irai voir si vous êtes arrivée ; je ne crois pas cependant que votre retour s’effectue si vite, et, dans mon esprit, je vous donne encore quelques jours de campagne. Vous dire pourquoi, je n’en sais rien. Je ne me sens pas d’alarme au cœur ; vous m’avez si bien rassuré au sujet de votre indisposition que, malgré la malignité universelle de l’influence cholérique, je ne m’inquiète pas. Je ne dis pas moins partout que vous avez été touchée par le choléra, et peu s’en est fallu qu’on ne l’annonçât publiquement. Enfin venez vous-même confirmer tous ces bruits vagues, ou plutôt leur donner un démenti. À force de répéter une chose qui n’est pas rigoureusement exacte, si elle allait devenir vraie ! Il faut être un peu superstitieux pour les gens qu’on aime ; l’instinct à leur égard doit suppléer souvent à la raison. Ne me demandez pas des bruits de Paris, il n’y en a point. C’est singulier : il y a quelques mois, tous les esprits étaient préoccupés de révolution, et voilà que tout à coup cette émotion générale est tombée comme une soupe au lait. Le général Changarnier déclare qu’il n’y a aucun danger ; tout le monde le croit sur parole, et l’on s’endort comme les Napolitains sur la lave à peine refroidie. À part toute alarme, il serait pourtant bien à propos de changer de ministère. L’ineptie et l’inertie des hommes qui le composent finiront par nous amener quelque malheur. La secousse imprimée aux esprits par les affaires de Constantinople a fait éclater à tous les yeux l’insuffisance de ce malheureux cabinet. Il y a aussi quelque chose de risible dans ce qui se passe à propos du drame de Rome, c’est l’ampleur des proportions qu’on lui donne. On en parle dans les mêmes termes que des terribles journées de juin 1848. Quel ennuyeux pays pour les affaires ! On n’y a qu’un langage, le jargon des partis ; rien de sérieux dans les expressions, dans l’appréciation des choses, des hommes et des événemens. Au fond, le ministère a fait une sottise en laissant jouer le pape et l’armée. Il ne faut pas d’ailleurs s’attendre pour cet hiver aux grandes émotions politiques de l’an dernier, l’attention commence à s’écarter ou à se détendre.

Je ne me fais pas une idée nette de votre position à La Grange. Je vois que vous y soignez votre nid comme une fauvette des roseaux, que tout y respire le bien-être, la douce mollesse de la vie ;