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verte par M. Bojer : c’est la poinciane royale, un arbre s’élevant à la hauteur de 10 à 12 mètres[1].

Au voisinage des rivières ou dans les vallées humides, les yeux demeurent ravis à la vue d’un feuillage splendide ; c’est l’arbre du voyageur ou le ravenala[2], l’un des plus beaux, l’un des plus caractéristiques représentans de la végétation de Madagascar. Une vérité et une erreur également propagées ont fait le ravenala poétique comme la légende. Il y a peu d’années encore, dès qu’on le nommait, chacun en imagination voyait au désert le voyageur épuisé de fatigue et prêt à succomber aux angoisses de la soif secouru tout à coup par l’arbre qui tient en réserve une eau fraîche et pure ; le ravenala, espèce magnifique de la famille des bananiers, ne vit que dans les lieux où il est facile de s’abreuver à d’autres sources. Lorsqu’on quitte Andouvourante pour se rendre à Tananarive, après un court trajet sur la belle et large rivière Iarouka et sur l’un de ses affluens, il faut près du village de Maroumby commencer à gravir les collines. À ce moment, un délicieux paysage s’offre à la vue ; dans tous les vallons, les ravenalas au feuillage glauque, en masses pressées, font oublier le reste de la végétation ; les uns en pleine croissance, les autres dans toute la magnificence d’un développement achevé, forment des groupes ravissans. Les regards s’arrêtent sur les plus beaux : les troncs s’élèvent droits à la hauteur de 8 à 10 mètres ; au sommet de cette tige robuste s’étalent, semblables à un gigantesque éventail, quinze, vingt ou vingt-cinq feuilles énormes, régulières, luisantes, montées sur des pétioles longs de 2 mètres à 2 mètres 1/2. — Entre les tiges apparaissent quelques branches supportant des fleurs ou des fruits ; ces derniers en s’ouvrant laissent échapper trente ou quarante graines vêtues d’une enveloppe soyeuse et parées de teintes vives, bleues ou pourprées. Les réservoirs de l’arbre du voyageur sont à la fois simples et parfaits : la pluie qui tombe sur les feuilles s’écoule en partie dans les pédoncules constitués en rigoles ; ces pédoncules, larges à la base et recourbés, deviennent des tubes où l’eau se conserve jusqu’à la fin des mois de sécheresse. Il suffit donc d’entailler la paroi du tuyau avec une pointe de fer pour voir s’échapper une gerbe liquide. Des Malgaches assurent que, se trouvant au travail, altérés par la chaleur du jour, ils s’évitent la peine d’aller jusqu’au torrent voisin, lorsque les ravenalas sont à portée. Pour les habitans de Madagascar, l’arbre du voyageur a une bien autre utilité que de dispenser les gens qui ont soif d’aller à la rivière. Les feuilles, comme le rapporte Flacourt, font des nappes, des plats et des assiettes ; on eu

  1. Poinciana regia, de la famille des légumineuses-papillonacées, décrite et figurée par M. Hooker, Botanical Magazine, pl. 2884.
  2. Ravenala madagascariensis, Sonnerat et Adanson.