Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sente ce paraphe sculpté ? Un colimaçon sortant de sa coquille, fantaisie toute populaire et souvenir des vignobles où ces sortes de bestioles abondent. Voilà pour ce qui reste des sculptures de l’extérieur, affreusement mutilées. À l’intérieur, en haut de l’abside, au point où naît l’arc de l’ogive, trois ou quatre monstres bouffons se présentent, et ce qu’il y a de curieux, c’est qu’ils ont été placés là par simple fantaisie d’amusement, et comme par facétie, car ils sont distribués sans symétrie, et ne sont pas assez nombreux pour former une décoration. Ces monstres ne sont point, comme ceux des gargouilles, des chimères fantastiques ou des animaux de blason, ce sont des caricatures humaines, fantoches bizarrement taillés et grotesquement accroupis, qui rappellent à l’imagination le Quasimodo de Notre-Dame de Paris et les attitudes que l’on se plaît à rêver pour cette bizarre créature. C’est encore un trait plébéien, la caricature étant par excellence, comme on sait, les délices du peuple. Entrons maintenant dans les chapelles : d’emblée, et sans avoir besoin de cicérone, nous reconnaissons que deux d’entre elles ont appartenu à deux corporations de bourgeois, celle des marchands drapiers et celle des bouchers : les vitraux qui décorent leurs fenêtres ne laissent aucun doute à cet égard, car, par un caprice assez rare, ces deux corporations ont eu l’idée de remplacer les sujets ordinaires de sainteté par des sujets tirés de la nature même de leurs professions. Dans le vitrail de la chapelle des bouchers, nous voyons entouré de ses aides le maître qui lève sa hache pour assommer un bœuf ; dans la chapelle des drapiers, nous assistons aux opérations du foulage et du cardage. Ces représentations de la vie populaire placées là en pleine cathédrale sont curieuses à plus d’un titre, mais surtout en ce qu’elles indiquent l’indépendance dont jouissaient les bourgeois de Semur. Il est de toute évidence que, pour qu’un tel caprice ait été obéi, il a fallu que ces corporations tinssent dans leur ville le haut du pavé et ne fussent pas gênées par le voisinage ou l’imitation d’exemples plus nobles : dans des localités moins démocratiques, l’artiste s’en serait tenu aux sujets sacrés tirés de l’histoire du saint auquel la chapelle était dédiée ou du patron de la corporation. Si nous passons aux objets d’art qui proviennent de dons personnels, nous trouverons que ces donataires sont de pure extraction populaire. Voici un tableau sur bois de la fin du XIIIe siècle, très laide rareté qui représente une figure du Christ : le nom du donataire est Philippe Blanchon, bourgeois de Semur. La chapelle voisine de celle des bouchers contient un groupe sculpté représentant le saint sépulcre, œuvre touchante par son caractère foncièrement populaire ; c’est un cadeau de deux bourgeois de la fin du XVe siècle, Jacobin Ogier et Pernette, sa femme.