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principes s’éloignaient davantage du luthéranisme. Elles tenaient pour ainsi dire en échec ce qu’on pouvait appeler l’orthodoxie locale. Bucer, qui aspirait à prendre dans Strasbourg la même position que Zwingli s’était arrogée à Zurich, s’efforçait d’imposer à tous les habitans sa confession de foi ; mais la direction de la réforme lui échappait parce que celle-ci n’avait pas été dans la cité alsacienne son œuvre : elle était née presque spontanément du mouvement de l’opinion publique ; les consciences s’étaient émancipées elles-mêmes avant l’arrivée de cet habile théologien. Les écoles dissidentes avaient à leur tête des hommes qui balançaient son influence, tels que AVolfgang Capito et Schwenckfeld, son ami, Gaspar Hedio, et le plus populaire des prédicateurs strasbourgeois, le curé de Saint-Laurent, Matthis Zell, qui le premier s’était prononcé avec quelque éclat dans la ville contre l’église catholique. Bucer avait de son côté les conservateurs, qui, dans l’intérêt de l’ordre et pour endiguer une foi toujours prête à rompre les barrières que lui imposait encore la nouvelle théologie, poussaient à l’adoption d’une confession de foi obligatoire. Les pasteurs des autres écoles, divisés d’opinions et unis seulement dans leur aversion pour tout ce qui se rapprochait du luthéranisme, réclamaient la liberté d’examen, dont ils usaient largement. Ils représentaient aux bucériens, ainsi que le faisait notamment Wolfgang Schultheiss, le danger d’un schisme, et appuyaient sur la nécessité de ne point se diviser en face de leurs redoutables ennemis. Les libéraux eurent le dessous, et Bucer réussit à faire adopter, du moins en principe, l’établissement d’une confession de foi ; mais la minorité était trop nombreuse, surtout trop active, pour qu’on pût facilement arriver à l’application de la mesure adoptée par le sénat de la ville. La lutte se continua sans profit pour la religion, sans autre résultat que d’ébranler toute espèce de foi religieuse et de donner aux catholiques la satisfaction de voir la séparation d’avec Rome conduire à l’anarchie ceux qui l’avaient consommée. C’est ce qu’attestent les témoignages contemporains. Capito se plaignait amèrement du refroidissement du zèle religieux ; il avouait que la prédication évangélique avait perdu toute efficacité morale. « À Strasbourg, où toutes les hérésies sont permises, s’écriait avec un accent de douleur Bucer, il n’y a plus d’église ; on ne se soucie pas plus de la parole divine que du sacrement. »

L’anabaptisme trouvait donc dans la cité alsacienne, plus encore que dans les contrées où le luthéranisme dégénérait en un enseignement froid et déclamatoire, le terrain préparé pour répandre sa nouvelle semence ; les âmes altérées de foi vivante vinrent y étancher leur soif d’idéal. Reublin et Hätzer, dès leur arrivée à Strasbourg, firent quelques prosélytes ; mais, aigris par la persécution,