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détachaient que davantage des convoitises et des passions haineuses ou jalouses qui s’étaient mêlées aux préoccupations de plus d’un des apôtres de la secte. Le sentiment religieux reprenait le dessus sur l’illuminisme et le dévergondage mystique qui troublaient auparavant tant de cerveaux. Les écrits publiés par quelques-uns des docteurs anabaptistes témoignent de l’esprit de renoncement et du profond désir de sanctification dont beaucoup étaient pénétrés ; les cantiques qu’ils composèrent exhalent un souffle de pur christianisme, respirent une pieuse et douce exaltation.

C’est par la vertu morale et le caractère pratique de ses enseignemens, par la force qu’il communiquait pour le bien aux volontés, que l’anabaptisme réussit à former des hommes capables de soutenir la lutte inégale dans laquelle il était engagé ; il retrouvait par la puissance de sa doctrine morale ce qui lui manquait sous le rapport dogmatique. Plus que la réforme de Luther, l’anabaptisme réveillait au fond des cœurs cette vie religieuse et cette activité de la conscience que le formalisme et les pompes du culte extérieur avaient graduellement étouffées chez le peuple. Concentrant tous ses efforts sur le développement du sentiment intérieur par lequel l’homme se met en rapport avec la Divinité, l’anabaptisme réussissait souvent à transformer le vieil homme en un homme nouveau, et cela précisément au moment où le luthéranisme tendait à perdre cette même vertu, qui fut à ses débuts l’un de ses plus puissans ressorts. À l’enthousiasme des premières années succédait en effet chez les disciples de Luther une sorte de religiosité sèche et froide, sans attrait pour les âmes ardentes ; la théologie évangélique tendait à devenir raisonneuse et plus calculée que sincère. Dans les pays qui avaient déjà répudié le catholicisme et adopté le nouveau culte, la haine des prêtres et des moines, qui soutenait auparavant l’ardeur des réformés, s’amortissait tout naturellement par le fait de la suppression de l’ancien clergé et des couvens. « Les fidèles se sont si fort attiédis, écrivait en 1531 Wicel, l’un des apôtres du luthéranisme, que, si un pasteur parle avec trop de feu de la nécessité de revenir à Dieu, de mener une vie exemplaire, de se corriger sérieusement de ses fautes et de se conformer aux prescriptions de l’Évangile, on le traite d’anabaptiste. » Pouvait-on plus explicitement reconnaître l’énergie et la conviction que les apôtres de la secte portaient dans leur œuvre de moralisation ? On ne s’étonnera donc pas que la doctrine anabaptiste ait été embrassée par ceux qui ne trouvaient plus dans le luthéranisme de quoi satisfaire leur élan religieux et leur besoin d’un commerce intime avec le monde idéal et surnaturel.

L’anabaptisme vécut plusieurs années en Allemagne comme vé-