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partis. « En n’acceptant pas la république impartiale, on s’exposerait à subir une république moins agréable et moins habitable. Comment la monarchie se fonderait-elle ? — Sur le droit divin ? — Mais, repoussé par le pays, il n’est pas même admis par tous les partis. — Par un plébiscite ? — Mais il donnerait aux partis, qui, seuls en France, veulent la monarchie, la seule monarchie dont cinq partis sur six ne veulent point. — Par un vote de la chambre ? — Mais quel titre aurait la monarchie issue d’une majorité parlementaire a ne pas être renversée par la chambre suivante, qu’on prévoit déjà ne pas devoir ressembler à la chambre actuelle ? — Votée comme une loi, la monarchie serait exposée à être rapportée comme une loi. »

On voit par ces citations quel est l’esprit de ce livre. Toutes les grandes questions contemporaines y sont examinées philosophiquement, sans passion, sans parti-pris, avec une clairvoyance dénuée de préjugés et libre de toute vaine terreur. Réduites à leurs élémens simples, elles se résolvent d’elles-mêmes avec une invincible évidence. Ainsi non-seulement le maintien de la république est nécessaire ; mais l’auteur arrive à cette conclusion que le suffrage universel lui-même, dont il ne s’exagère pourtant pas les mérites, s’impose désormais comme une nécessité sociale, et que les vrais conservateurs doivent employer à l’améliorer par l’instruction et par la propagande les forces qu’ils dépensent vainement à le détruire. C’est par une réforme intellectuelle qu’on évitera la révolution sociale. L’instruction donnée largement à tous les degrés permettra aux capacités de se produire et formera cette élite naturelle que l’auteur qualifie « d’aristocratie démocratique, » et dont aucune société, si démocratique qu’elle soit, ne saurait se passer sans se perdre. C’est dans cette classe de lettrés et de savans, tous fils de leurs œuvres, que l’auteur voudrait trouver les élémens d’une institution qu’il nous décrit un peu vaguement à la dernière page de son livre, et qui, sous le nom de corps politique, serait pour ainsi dire une seconde édition du conseil d’état, dont elle prendrait les attributions politiques, en lui laissant ses attributions administratives. C’est avec cette espèce de chambre des pairs ou d’institut politique que M. Seligmann espère remplacer la seconde assemblée élective, dont il ne croit pas l’établissement possible. Ainsi il voudrait couronner les institutions républicaines par une espèce d’aristocratie des capacités, qui n’emprunterait pas son pouvoir à l’élection, mais à la science. C’est la seule illusion que nous ayons rencontrée dans ce livre parfois un peu tranchant, mais presque toujours ingénieux, hardi et sensé.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.

Le directeur-gérant, C. BULOZ.