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REVUE. — CHRONIQUE.

infaillibilité mathématique. Il faut enfin que la politique française cesse de dédaigner la psychologie et de se fier au hasard des émotions populaires, à l’aveuglement des partis-pris de sentiment, ou aux expédiens grossiers d’une habileté tout empirique.

Ces idées sont fort justes, mais elles ne sont peut-être pas aussi neuves que l’auteur paraît le croire. Au point de vue de la méthode, elles ont été développées plus d’une fois par les maîtres de l’école positiviste, et il est de grands écrivains politiques qui, sans appartenir à cette école, ont étudié, comme le demande M. Seligmann, le fond constitutif des sociétés plus que les formes constitutionnelles. Je ne citerai que M. de Tocqueville, dont les deux grands ouvrages sont encore des modèles pour tous ceux qui veulent le suivre dans cette voie, et dont l’avenir révélera de plus en plus la sagacité prophétique. L’auteur reconnaît lui-même que M. Thiers a plus d’une fois donné des preuves merveilleuses de ce sens politique profond où beaucoup de gens ne voient qu’un don de nature, et qu’il regarde, quant à lui, comme un résultat de la science. Oui, sans doute, de la science, mais non pas de la méthode, qu’il confond trop souvent avec la science, et qui ne consiste, en ces matières, qu’à énoncer avec emphase des préceptes d’une banalité mal déguisée sous une forme dogmatique et solennelle. « Prévoir, préparer et prévenir, » s’écrie-t-il avec un grand sérieux, « voilà toute la science politique. » Qui songe à le contester ? mais qu’est-ce que ce précepte nous apprend de nouveau ? Aussi aurais-je préféré que M. Seligmann nous parlât un peu moins de sa méthode scientifique, et qu’il se contentât de nous montrer sa science, qui est très réelle, avec son esprit, qui est plein de bon sens.

Nous recommandons surtout au lecteur l’analyse nette et succincte des divers élémens de la société française par laquelle l’auteur clôt son livre. Ce tableau est d’une grande vérité. Il nous fait voir d’un coup d’œil la composition de cette société, divisée, non plus en classes (le mot n’est plus de mise aujourd’hui), mais en professions qui engendrent certains intérêts et certaines passions très-vagues, qui sont cependant le seul ressort de l’esprit public, et le seul levier dont les partis puissent se servir pour l’émouvoir. À côté de ces groupes naturels et étrangers à la politique proprement dite, il nous montre cette mêlée de partis engendrés par nos révolutions et qui s’agitent à la surface de la France, dont ils se disputent le gouvernement comme celui d’un pays conquis. Au milieu de cette confusion déplorable, il n’y a de salut que dans la destruction des partis. « Ou les partis disparaîtront, dit M. Seligmann, ou la France disparaîtra. » Du moins faut-il qu’ils se reforment sur un terrain plus large et plus national, où il n’y ait « à faire la part ni d’une dynastie, ni d’une aristocratie, » mais seulement celle du pays. Ce rendez-vous de toutes les opinions unies par le patriotisme, c’est « la république impartiale, » c’est-à-dire placée en dehors et au-dessus des