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ment distincts et comparables en importance. Si l’on posait en principe que la concurrence de deux artères de communication aboutissant aux mêmes points fût un bienfait public, c’est sur une large échelle qu’il faudrait améliorer et accroître le réseau navigable.

Reste à savoir si cette concurrence est profitable aux intérêts généraux du pays. Sur ce point, l’opinion publique n’a pas toujours été la même. En 1852, les chemins de fer, qu’on avait accueillis lors de leur création avec inquiétude et méfiance, étaient en faveur, au grand détriment de la navigation ; on doutait fort que cette dernière pût rendre à l’avenir d’assez grands services pour compenser les sacrifices financiers qu’elle avait exigés déjà, et qu’elle réclamait encore. En 1860 au contraire, on présentait la batellerie comme le modérateur indispensable du monopole des compagnies de chemins de fer ; une lettre adressée au ministre des travaux publics par le chef de l’état provoquait diverses mesures administratives et financières destinées à donner à l’industrie batelière les moyens de faire « une juste concurrence » aux voies ferrées. Aujourd’hui les opinions sur cette question de concurrence sont. très partagées, bien qu’au fond la contradiction ne soit qu’apparente. Lorsqu’un chemin de fer et un canal fonctionnent concurremment, ce n’est pas toujours un bien ni toujours un mal ; c’est tantôt l’un, tantôt l’autre. Il y a là une formule à chercher.

La concurrence, en matière de production, ne contribue d’une manière efficace à l’accroissement des richesses que s’il n’y a pas double emploi. Supposons par exemple que deux usines semblables, d’égale importance, soient établies côte à côte et desservent un cercle de localités voisines, au-delà desquelles tout débouché leur est interdit par la force des choses ; supposons encore que la consommation des produits de ces usines atteigne à peu près le maximum possible et que chacune d’elles dispose du matériel nécessaire pour une fabrication égalé ou un peu supérieure à la moitié de ce maximum. La concurrence de ces deux industries amènera d’excellens résultats ; chacune d’elles agira sur l’autre comme un stimulant, les produits seront livrés au consommateur au meilleur marché possible. Supposons maintenant que chacune, de ces usines se propose de doubler son chiffre d’affaires, et augmente en conséquence son matériel et son outillage. Les situations relatives restent les mêmes ; mais les capitaux immobilisés et les frais généraux ont augmenté de part et d’autre, il faut que les usiniers vendent plus cher que précédemment ou qu’ils se résignent au sacrifice des sommes qu’ils viennent de dépenser imprudemment. Par conséquent, perte pour les consommateurs ou perte pour les fabricans, voilà l’effet d’un double emploi surgissant à côté de la concurrence.

En 1852, les chemins de fer suffisaient en général à toutes les demandes du commerce ; l’industrie batelière ne pouvait donc se