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illusion : c’est une représentation plastique de la figure humaine, et la fidélité, c’est-à-dire la vraisemblance, est sa première loi. Les artistes qui s’en affranchissent pour donner un corps plus ou moins. chimérique à leurs rêves courent le risque de divorcer avec la nature et de perdre l’usage même de la langue qui sert à exprimer leurs pensées.

Arrêtons-nous plutôt devant une statue de M. Cabet, qui ne nous inspire pas les mêmes craintes, et qui représente dans un sentiment analogue, mais sans aucune fantasmagorie, l’Année 1871 pleurant sur ses malheurs. C’est une femme assise, noblement drapée dans un large manteau dont elle se couvre la tête, et dont les plis ont quelque chose de plaintif comme son attitude. Elle se penche en avant, un bras pendant entre les jambes, l’autre appuyé sur le genou et la tête dans sa main ; elle médite et elle semble écrasée de douleur. Une couronne de cyprès projette sur son front une ombre épaisse, qui ajoute à l’expression désolée de son visage. De tous les côtés, les lignes sont belles, harmonieuses, elles expriment l’accablement et le deuil. C’est que l’art n’a pas besoin de faire violence à la nature pour lui faire parler le langage de ses pensées ; il lui suffit de la comprendre et de savoir s’en servir.

M. Perrey est un artiste observateur et positif, qui ne cherche pas à mettre du pathétique et de la poésie dans sa sculpture. C’est plutôt, si j’ose ainsi parler, un sculpteur moraliste, et sa statue de l’Avare est une véritable étude psychologique. Elle est parfaitement vraie dans l’expression du caractère qu’elle veut rendre ; c’est assez dire qu’elle n’est pas agréable à voir. M. Perrey a trop bien réussi à mettre dans son exécution, comme dans son dessin, comme dans sa composition même, quelque chose de pauvre, de sec, de mesquin, d’étriqué, d’anguleux, de répulsif et d’ingrat. Le vieillard est assis, courbé sur un sac d’écus, qu’il embrasse à la fois des bras et des jambes. Son visage mince et acariâtre se termine par une barbe en pointe. Son dos maigre, ses bras osseux, sa posture disgracieuse et jalouse, tout exprime la lésinerie et l’aridité. Il se fait petit pour couver son trésor, il s’y cramponne comme s’il voulait se l’incorporer. Il n’y a pas à s’en dédire ; c’est peut-être une assez laide statue, mais c’est bien celle de l’Avare, de M. Perrey y a montré une certaine profondeur.

Le Braconnier de M. Gautier, qui lui fait vis-à-vis, est au contraire d’une sculpture toute florissante et tout aimable. Il faut d’ailleurs le classer parmi les meilleurs morceaux du Salon. C’est un jeune berger assis sur une peau de bête, qui agite en riant au-dessus de sa tête un lapin qu’il vient de tuer, sans doute à coups de fronde ; il regarde son chien qui jappe en bondissant à côté de lui. Qu’importe, après tout, que le sujet ne soit pas nouveau, ou