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pourquoi les capitaux du monde entier se sont offerts sans compter à notre crédit ? C’était une bonne affaire, c’est possible. Les capitalistes étrangers ont eu des facilités particulières qui leur ont permis de grossir artificiellement leurs souscriptions, c’est possible encore ; mais il y a d’autres raisons plus sérieuses, plus simples, et nous oserions dire plus rassurantes, puisqu’elles tiennent à la situation même de la France.

On s’est fié à notre crédit, parce qu’on a été frappé de ce qui s’est passé depuis vingt mois. On a vu un pays qui venait de subir toutes les misères de l’invasion, toutes les horreurs de la guerre civile, dont la population a été un instant presque tout entière sous les armes, dont la vie a été en quelque sorte suspendue, et qui, à peine échappé à cet effroyable orage, s’est remis aussitôt simplement et courageusement à l’œuvre. Sans doute les intérêts n’ont pas retrouvé par un coup de baguette magique toute leur activité ; l’industrie a eu et peut avoir encore ses souffrances ; il y a eu des hésitations et un ralentissement momentané. En somme cependant le travail a recommencé sous toutes les formes avec une promptitude à laquelle on pouvait à peine s’attendre, avec une bonne volonté qui semble récompensée aujourd’hui par cette faveur si bienvenue d’une récolte abondante. C’est ce spectacle qui a inspiré de la confiance, c’est à la France laborieuse que revient d’abord la victoire dans l’emprunt. On s’est dit qu’un pays qui se remettait ainsi au travail, avec toutes les ressources naturelles dont il dispose, offrait la plus sûre, la plus éclatante garantie de sa vitalité et de sa force.

Il y a une autre raison qui n’a pas peu servi à maintenir, à rehausser peut-être la bonne renommée de la France devant le monde, et qui n’était point certes sans importance dans une opération de crédit : c’est la fidélité aux engagemens dans les transactions privées comme dans les transactions publiques. Assurément le commerce français a passé par de cruelles épreuves, il s’est trouvé plus d’une fois en face de véritables impossibilités auxquelles il a fallu remédier par des prorogations d’échéances, et dans cette crise universelle, au milieu de tous ces malheurs qui ont pesé sur les affaires, il n’aurait pas été bien étonnant que l’exécution des engagemens vînt à souffrir, que la liquidation fût douloureuse et même peut-être désastreuse. Eh bien ! non, cette liquidation a été pénible, elle devait l’être, elle n’a point été un désastre. Il y a eu en général dans le commerce français un sentiment d’honneur et de solidarité qui a tout sauvé. On a compris instinctivement que la plus grande habileté était encore d’agir avec honnêteté, de se soutenir mutuellement, de ne pas se manquer les uns aux autres. Il y a eu une sorte d’émulation dans le respect de la signature privée, et en définitive les effets en souffrance ont été bien moins nombreux qu’on ne pouvait le craindre, le portefeuille de la Banque en a été le témoin décisif. Le monde commercial français, on peut le dire, a montré dans ces mauvais jours une fermeté de tenue et une loyauté qui ont frappé les