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version alexandrine une parcelle de lumière ! C’était à s’écrier comme Hamlet, prince de Danemark : Words ! words, words ! Des mots ! toujours des mots !

Désappointé, irrité, furieux, il veut planter là l’ingrate besogne, s’efforce de n’y plus penser ; mais son cerveau mis en mouvement continue à travailler dans le vide : d’étranges, d’effroyables images y passent et repassent, souvenirs des anciennes persécutions, doutes et défiances, visions terribles que traverse la vivante personnalité de l’être sinistre, l’auteur présumé de tous maux. Insensiblement le sommeil le gagne, un sommeil fiévreux, plein de transes, pendant lequel la pensée, libre du contre-poids des sens et de leurs impressions, sent décupler son énergie, un de ces états métaphysiques où nos perceptions les plus extravagantes se forment, se condensent en objets, en réalités. Se réveillant à diverses reprises, et ses paupières presque aussitôt se refermant, les objets qui en réalité l’environnent composent la scène et le décor de son rêve. Soudain, de cet endroit même de la muraille où ses yeux, durant le trouble de la méditation, s’étaient, selon toute apparence, fixés tantôt, il voit sortir l’archi-démon. Il le voit, entendons-nous bien, non plus cette fois comme une apparition, comme un spectre, mais en personne ; il l’a pour interlocuteur, et tout ce qui advient est si réel que l’encrier joue aussi son bout de rôle en cette affaire. Dans un de ces efforts de rage impuissante qui presque toujours dans ces affreux cauchemars précèdent l’effroi haletant du réveil, il s’imagine qu’il lance son encrier à la tête de l’intrus maudit. Rêvait-il bien encore ? Et ne serait-ce pas plutôt à l’instant même du réveil, alors que son esprit et ses yeux sont encore en proie à l’hallucination, qu’il s’empare au hasard du premier projectile placé sous sa main et le lance à toute volée ?

Quelques semaines plus tard, après avoir retourné, examiné l’incident sous toutes ses faces, après s’être inutilement demandé ce qu’il fallait penser de l’entrevue et s’il s’agissait d’une visitation de Satan corporelle ou non corporelle, il découvre pour la première fois la tache noire sur la muraille. Désormais plus de doute permis ! le témoignage est là vivant, la preuve écrite.

Cette preuve, il vous faut l’aller voir pour y croire, et, quand vous l’avez vue, vous n’y croyez pas davantage. C’est qu’à tout ce mysticisme de Luther la poésie manque. Cet indomptable pourfendeur des idoles de son siècle n’est lui-même que superstition. Impuissant à déraciner de l’âme humaine la divine plante du surnaturel, il souffle sur la fleur bleue et la dessèche. Entre ses mains, ce n’est pas le cuivre qui devient or, c’est la poésie qui se change en prose. De là un art bourgeois qui n’a jamais su produire que