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modelé. Quel dommage que M. Chapu ne possède pas à un plus haut degré les dons extérieurs de sa profession ! Jusqu’à présent c’est un excellent statuaire et un artiste accompli, mais, ce n’est pas encore un grand sculpteur.

Comparez maintenant à la Jeanne d’Arc de M. Chapu les Martyrs de l’indépendance nationale, de M. Chatrousse. C’est encore une Jeanne d’Arc, accompagnée cette fois d’un Vercingétorix. On les reconnaît tout d’abord à leurs costumes de guerre. Vercingétorix porte la cuirasse gauloise, le casque rond surmonté de deux ailes, et le lourd glaive antique. Une peau de bête flotta sur ses épaules et sur ses bras nus, de longs cheveux encadrent sa tête. Jeanne porte la cotte de mailles et l’armure des chevaliers bardés de fer. Le héros et l’héroïne s’avancent côte à côte, la main dans la main, comme s’ils venaient chanter une cantate sur la scène de l’Opéra, dans un intermède patriotique. Leur pied, jeté en avant, foule avec force un joug chargé de chaînes. Vercingétorix se tient droit, cambré, le jarret tendu, la main fièrement posée sur la poignée de son glaive, dans l’attitude consacrée de tous les guerriers d’académie. Jeanne lève les yeux au ciel et élève au-dessus de la tête de son compagnon un drapeau déployé. Cette composition ne manque pas d’une certaine énergie et d’une certaine grandeur ; on y sent quelque imitation des hardis et fiers mouvemens du bas-relief de Rude ; mais cette grandeur a quelque chose de factice et de théâtral : c’est, pour ainsi parler, de l’art de seconde main, élaboré suivant des règles et des procédés connus d’avance. Malgré l’habile arrangement des lignes, la symétrique diversité des figures, l’irréprochable combinaison des mouvemens, l’aspect général est froid, banal et convenu. On dirait des figurans de théâtre ou des modèles d’atelier qui essaient une attitude. M. Chatrousse, qui a certainement un talent remarquable, manque d’originalité et de véritable inspiration. C’est peut-être un très savant homme, plus savant même que M. Chapu, mais ses déclamations académiques font encore mieux ressortir la sobriété exquise, le sentiment sincère, la noble simplicité des œuvres de ce charmant artiste, auquel il ne manque qu’une exécution plus vigoureuse pour être rangé parmi les grands maîtres.

Dans un autre genre, M. Schœnewerk partage avec M. Chapu l’admiration des visiteurs ; Vous vous demandez peut-être ce qui lui vaut ce privilège, et pourquoi la Jeune Tarentine, qui est assurément un bon morceau de sculpture, attendrit particulièrement les cœurs sensibles. C’est un travail habile et d’un assez joli sentiment, mais qui manque absolument de naturel. Quoique cherchant à simuler l’abandon d’un corps roulé capricieusement par les flots, la jeune femme est couchée dans une attitude vraiment trop