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Quoi qu’il en soit, la Wartbourg fut le siège de ces deux grands faits, la traduction de la Bible et la lutte contre le célibat. L’histoire a de ces antithèses dont l’étude parfois nous captive, et l’on ne saurait voir sans un curieux et profond intérêt le protestantisme biblique choisir, pour y fulminer ses foudres, le terrain même où sous les pas d’Élisabeth les fleurs du romantisme catholique viennent de pousser leur dernière moisson. Pour Luther, cette période de la Wartbourg fut une sorte de fuite au désert. Il y ceignit ses reins, banda son arc, et, tout en fourbissant ses engins de destruction, soutint avec lui-même, la lutte la plus violente. Quelle différence entre frère Martin et le chevalier George dans sa tourelle féodale ! Chevalier, il l’était de par l’empire et l’empereur, et, comme lui disait ce capitaine à la diète de Worms : « Moinillon, mon compère, le chemin où tu t’engages est rudement pénible, et jamais aucun de nous n’en a parcouru de plus âpre ! » À la Wartbourg, il s’aguerrit l’âme et le corps, et ses fougueux exercices du jour à travers bois, ses retraites nocturnes, tournent au profit des grands combats de l’esprit. Sa vraie lance alors sera sa plume, la libre pensée son hippogriphe ! Laissez-le rassembler ses forces, se faire la main, et dans dix mois le prisonnier sortant de sa cachette, poussant vers ce monde rempli déjà de son tonnerre, écrira à ce même électeur qui le couvrit de son égide : « Si votre altesse s’imagine être encore en mesure de protéger le docteur Luther, elle se trompe. C’est au docteur Luther, qui dispose de la pensée de Dieu, de protéger à son tour votre altesse, et avec elle le genre humain tout entier. »

Dans ces tentations, tragi-comiques de la Wartbourg, le diable aussi jouera son rôle ; nous le verrons rôder par les corridors sombres, l’archi-démon trouvera cette fois à qui parler. Le moine prosterné du chœur d’Erfurt, implorant du ciel grâce et merci contre les agressions du diable, aura fait place désormais au chevalier George, un rude jouteur celui-là, armé de pied en cap, qui ne recule plus devant son adversaire, et, comme entrée en matière, lui flanque à la tête son encrier : exorcisme symbolique dont l’esprit humain a tiré profit. De Luther à Voltaire et de Voltaire à nous, le monde en effet semble avoir reconnu que l’encre était le moyen le plus efficace qu’il y eût pour chasser les diables. Maintenant abordons l’ordre de l’histoire.


C’était le 26 avril 1521. Charles-Quint venait de prononcer sur lui le ban de l’empire. Encore quarante-huit heures, et le sauf-conduit, limité à vingt et un jours, atteignait son terme, Luther,