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RÉCITS CALIFORNIENS


I.


L’IDYLLE DU VAL-ROUGE [1].

Sandy [2] avait bu. Il était couché sous un buisson d’azalées dans l’attitude même où il était tombé quelques heures auparavant à cette même place. Combien de temps avait-il dormi ainsi ? Sandy n’aurait pu le dire, et ne s’en souciait guère. Combien de temps dormirait-il encore ? Il ne le savait, ni ne s’en souciait davantage. Une philosophie béate, inséparable de certaines conditions physiques, saturait tout son être moral. Le spectacle d’un homme ivre, et de cet homme ivre en particulier, n’était pas, je regrette de le dire, nouveauté suffisante au Val-Rouge pour attirer l’attention. Un passant d’humeur satirique avait placé au-dessus de la tête de Sandy une pierre tumulaire provisoire portant l’inscription suivante : « effets du whisky de Mac-Corkle, — tue à quarante pas, » avec une main désignant le café Mac-Corkle ; mais, comme la plupart des satires locales, celle-ci était, j’imagine, toute personnelle, une simple réflexion sur la déloyauté du moyen plutôt que sur l’immoralité du résultat. À cette facétieuse exception près, rien n’était venu déranger Sandy. Une mule errante avait tondu près de lui, tout en reniflant avec curiosité, l’herbe rare sur laquelle il gisait ; un chien vagabond, avec la sympathie profonde de son espèce pour les ivrognes, avait léché ses bottes poudreuses, puis s’était pelotonné à ses pieds, clignant de l’œil au soleil et flattant ainsi par l’imitation, à sa manière de chien, le compagnon humain qu’il s’était choisi.

Cependant les ombres des pins s’étaient lentement balancées alentour jusqu’à ce qu’elles eussent traversé la route, et leurs troncs dessinaient sur la grande prairie ouverte des barres parallèles gi-

  1. Voyez sur l’auteur des Récits californiens, dont nous donnons ici un nouveau spécimen, la Revue du 15 juin dernier.
  2. Sandy est le diminutif d’Alexandre.