Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/886

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élan rapide ; il se complaît dans les détails et s’attarde sur la route au lieu d’élaguer l’inutile pour ne s’attacher qu’au nécessaire.

L’unité et l’harmonie de l’œuvre en souffrent, mais pour l’étude de la vie intellectuelle de Goethe ces longueurs ont leur prix. Chaque digression nous révèle l’étendue de ses connaissances et la variété des sujets sur lesquels peut se porter à la fois l’activité de son esprit. C’est l’abondance de ses richesses qui en débordant l’entraîne au-delà des limites qu’une intelligence moins riche s’imposerait plus facilement. Il ne s’est pas flatté lui-même quand il disait à Eckermann : « Ce roman renferme tant d’idées qu’il est impossible de les apercevoir toutes à la première lecture. » On admire en effet, en y réfléchissant, qu’il puisse parler de tant de choses, et qu’il en parle si bien. On trouverait dans les Affinités électives un véritable cours d’architecture, une foule de réflexions fines et justes sur l’art de restaurer les monumens anciens en y conservant la marque et le style de l’antiquité. Lorsqu’on voit l’architecte décorer une vieille chapelle en essayant de retrouver et de reproduire les ornemens effacés par le temps, peupler l’azur du ciel de figures d’anges aux draperies flottantes, passer sur les murailles une couche d’un brun clair, afin de faire ressortir le ton plus sombre des colonnes, joindre la terre au ciel par des guirlandes de fleurs et de fruits, tamiser la lumière à travers des vitraux coloriés, disposer les dalles du pavé en un dessin savant, rétablir dans le chœur quelques stalles élégamment sculptées, on se représente Goethe présidant lui-même, comme il l’a fait si souvent, à quelque restauration habile dans le grand-duché de Weimar. Il n’est pas jusqu’à l’art secondaire des tableaux vivans qu’il n’ait approfondi et relevé par la noblesse des sujets, par l’élégance des attitudes, par la beauté harmonieuse des groupes. Tous ces détails nous rappellent la place considérable que les beaux arts ont tenue dans l’existence de Goethe. Non-seulement il rapportait d’Italie des souvenirs qui ne s’effacèrent point, mais il ne se passait guère de jour qu’il ne regardât des cartons représentant les œuvres des grands peintres, de belles gravures, des dessins de monumens, des plans d’architecture, des médailles ou des-pierres gravées. La vie tout entière d’un amateur distingué suffirait à peine pour acquérir sur ces divers sujets les notions précises qu’il s’était appropriées depuis sa jeunesse et qu’il entretenait comme en se jouant. Ce ne sont pas uniquement les beautés de l’art qu’il comprend, il sait aussi les secrets du métier, et il en remontrerait aussi bien à un maçon qu’à un architecte. S’agit-il des jardins, des soins à donner aux fleurs et aux fruits, il en parle avec la même autorité ; il n’ignore rien de ce qui concerne le jardinage. Il saurait dessiner un parc comme le fait le