Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aber, tonnez, moi Champagner, — J’ai an soif extraordinaire, — Apout one douzaine cart-loads[1] ; Et puis je fous laisse faire. »

Voilà ce qu’il faut trouver en vingt minutes pour satisfaire aux plus pressans besoins d’une patrouille allemande :


« Mille montres d’or, — item cinq mille d’argent pour le commun des soldats, — trois mille bagues de diamans, — et tout de suite ! Nos fiancées les attendent à la maison. — Un million de cigares en outre, — et pour nous remercier de ne pas exiger davantage, douze mille cuillers seulement.

« Si vous n’avez pas de Champagne, nous prendrons de l’argent à la rigueur : 100,000 francs, peu nous importe, mais vite, car nous sommes pressés. »

Voici maintenant Breitmann au bivouac, sentimental sous la feuillée, une bouteille de Champagne sur les genoux, une saucisse à la main, sa longue lance en repos à ses côtés. Les jeunes uhlans l’entourent tandis qu’il leur donne des leçons de morale : — Avant le combat, mes enfans, une petite prière à Dieu, une longue goutte de schnapps dans le gosier ! — L’orgie gronde dans les fermes, dans les châteaux pillés de fond en comble, et, si- l’orgie se borne à des excès de table, c’est qu’à peu d’exceptions près les filles de France savent se défendre. Patience ! Breitmann se rattrapera à Paris, au bal Mabille, objet de ses rêves. Il dansera la danse profane de ces lieux tel qu’un hippopotame en goguette. Comment les catacombes ne s’écroulent-elles pas sous son poids ? L’amour de tant de joyeuses petites femmes est fruit nouveau pour lui. Il le savoure, il rit des vains efforts qu’elles font pour atteindre du bout de leur pied impudique le chapeau qui couvre son front de géant, il oublie la bière épaisse pour l’absinthe ensorcelante ; — mais, toujours sentimental, il soupire, sur l’épaule de satin où repose sa grande barbe, des professions entrecoupées de tendresse, de mysticisme et de philosophie pour lesquelles la langue française n’a pas de mots. — De retour dans son pays, le souvenir de Pochardinette, qui aima tout le quartier latin et Breitmann ensuite, arrachera une douce larme à son cœur fidèle. Le jugement porté sur le Breitmann par son frère Jonathan est d’autant plus remarquable que frère Jonathan n’est entraîné par aucune sympathie particulière pour notre France, qu’il traite au contraire avec sévérité.

Bien qu’il n’y ait point de rapport entre le talent tout primesautier d’Artemus Ward et le talent de M. Leland, rehaussé d’étude,

  1. Cart-load, le chargement d’une charrette.