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pourquoi cet air de deuil ? Ne vois-tu pas que le Croate est encore dans les retranchemens ? »

Tous les efforts étaient inutiles : Neusatz et le Bas-Danube tombaient au pouvoir de Jellachich. Au nord, les Russes s’emparaient de Debreczin et forçaient le gouvernement de Kossuth à choisir, le 2 juillet, la résidence bien précaire de Szegedin. Enfin les Autrichiens, malgré la patiente résistance des Hongrois dans l’île de Schütt, arrivaient jusqu’à Bude, qu’ils prenaient de nouveau le 11 juillet. On ne sera donc pas surpris de trouver dans les chants populaires la preuve d’une haine croissante contre l’Allemand. Le hussard mourant par le des Allemands comme parlait des Espagnols ce cacique décidé à refuser le paradis, s’il devait les y trouver.


« Un hussard blessé est étendu sur l’herbe ; son sang coule pareil à un lent ruisseau. La lune répand une lueur pâle sur la nuit tranquille.

« Le sabre pend au côté du cheval, qui gémit comme s’il éprouvait du chagrin. Le hussard le regarde : une larme chaude se mêle sur son visage à une goutte de sang.

« Bon cheval, fidèle cheval, il faut donc nous séparer ! Quel sort attend ta pauvre tête ! Voilà le sol étranger, nous sommes aux portes de Vienne : l’eau y est salée, le foin y est amer.

« Si tu te sépares de moi, comment pourrai-je dormir en paix dans le tombeau ? Tu courais sous un rapide hussard, maintenant tu serais la monture d’un va-nu-pieds d’Allemand. »

« Il embrasse son cheval, le caresse longtemps, et se rappelle le temps passé ; alors, comme un arc-en-ciel sur les nuages humides, au souvenir des vieilles joies un sourire passe sur ses traits.

« Bon cheval, fidèle cheval, il vaut mieux que tu ne me quittes pas, que tu montes au ciel avec moi, et, si là-haut nous trouvons encore des Allemands, nous les chasserons dans l’enfer.

« Mais si le ciel est propre, et que nous n’ayons pas à le nettoyer, nous irons avec l’éclair, avec l’aurore, avec le vent ; le hussard est la tempête, l’aurore, l’éclair, et même dans le ciel il ne peut se passer de son cheval. »

« Il se tait, et enfonce le sabre dans le poitrail de son cheval ; leur sang ne forme plus qu’un seul ruisseau. La lune répand une pâle lueur sur la nuit tranquille. »


Sans parler de la haine qui se déploie naïvement dans cette pièce, on chercherait vainement dans le vaste domaine de la littérature magyare un morceau plus empreint du caractère national : poésie de race, oserions-nous dire. Il y règne un soufflé qui n’a