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constitution, accordait aux dames nobles en certains cas de véritables droits politiques. La jeune paysanne, qui n’espère rien pour ceux qui partent, flétrit les autres d’un refus méprisant : « qui reste chez lui ne mérite pas une épouse, et qui s’en va n’en aura pas. »

La pauvre mère, dont la douleur profonde et modeste préoccupe si peu les grands politiques, n’a pas été négligée par les bardes magyars. « Elle peut pleurer, la mère chérie dont le fils est devenu soldat, car ils meurent tous ; jour et nuit, elle peut pleurer, elle peut pleurer. » L’adieu du conscrit à sa mère n’est pas moins triste. « Chère mère, chère mère, prépare mon habit blanc. Je me mets bientôt en marche, et là où je vais, tu ne m’en verras pas revenir. « Il est vrai que, la guerre une fois commencée, le conscrit est réconcilié avec son sort. « Ma mère pleurait quand je suis devenu soldat. Ne pleure pas, ma mère, ton fils se trouve bien dans le camp, parmi les héros. »


II

La guerre était en effet commencée, et les Magyars n’avaient pas été heureux dans les premiers combats. En décembre 1848 et pendant presque tout l’hiver suivant, ils plièrent une première fois sous la triple attaque des Autrichiens, des Croates, bientôt des Russes, qui pénétrèrent par les principautés danubiennes en Transylvanie. Lorsque le prince de Windischgraetz remontait victorieusement les rives du Danube jusqu’à la forteresse de Bude, la capitale du royaume, lorsque les défilés des Karpathes, au nord et au sud, et les villes de Kaschau et de Kronstadt, tombaient au pouvoir de l’ennemi, l’Europe crut la révolution de Hongrie aussi complètement écrasée que l’était vers la même époque la révolution italienne. Cette prévision, juste au fond, était prématurée. Pendant leur première période de défaites, les patriotes parlèrent peu, agirent beaucoup. Nous trouvons fort peu de vers qui se rapportent avec quelque vraisemblance à ce moment critique ; mais les défenseurs de la cause nationale, refoulés dans le centre du pays, dans cette vraie Hongrie de la plaine, cette puszta, cet alfold si souvent chanté par Petœfi Sandor, y puisaient de nouvelles forces. Il sembla que ce sol fertile eût le don de produire des hommes, des héros armés de toutes pièces, et que l’on vît s’accomplir le miracle orgueilleusement annoncé par Pompée : la terre frappée du pied enfantant des légions.

Ils arrivaient, le vieillard, l’enfant (un enfant de huit ans par exemple), le riche propriétaire, le pauvre journalier oublié par les