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nous gémissent les jeunes filles. Ne pleurez pas, fidèles jeunes filles, votre patrie doit vous être plus chère que votre amoureux.

« Ne t’attriste pas, vierge magyare, parce que le laurier brille au front de ton ami. Le vert laurier convient seul au jeune héros ; le soldat n’a pas de plus précieuse récompense.

« Au lieu de pleurer, conservez votre gaîté de jeune fille, lorsque retentit le cliquetis des épées avec le chant des héros. Bientôt nous viendrons vous retrouver. Que d’ici là Dieu vous accompagne ! »


Cette confiance juvénile, cette généreuse ignorance du danger, n’étaient pas éprouvées par tous ces jeunes gens qui se rendaient à l’appel avec l’empressement de véritables volontaires. Nous savons que dans une armée de cette nature il y a, sans parler des élémens indignes, qui ne font défaut nulle part, deux caractères très différens : ceux qui voient tout en beau, ceux qui voient tout en noir. Il n’est donc pas surprenant qu’un autre conscrit, aussi patriote et aussi amoureux que le premier, aperçoive dans l’avenir moins la gloire que le sacrifice, moins l’espérance du retour que le désir de ne pas voir ce qu’il aime réduit en esclavage :


« Si Dieu pouvait me donner de réussir à délivrer ma patrie ! Je vais me battre pour sauver la patrie et toi, mon trésor, mon amour, toi qui es tout pour moi.

« Je vais risquer ma vie en marchant au feu ; de mes deux mains je vais combattre pour ma patrie, ma rose et ma colombe. Quant à moi, je me sacrifie.

« La mort sera un bienfait pour moi, si c’est l’ennemi qui l’emporte. Si tu dois être captive, puissent mes yeux être fermés… »

Pourtant il ne veut pas finir par ces mornes prophéties :

« Si la patrie est victorieuse, je reviens à la maison avec ma branche verte, j’embrasse ma rose sur sa petite bouche. »


Que pensaient de ces tristes départs les fiancées, les jeunes filles ? Un chant anonyme nous l’apprend naïvement. « Je suis noyée dans un fleuve de larmes parce que mon ami m’a quittée. Il est parti pour défendre la patrie, et jamais il ne reviendra, non jamais. » Cette part faite au chagrin, ne croyons pas que la jeune Hongroise décourage l’héroïsme du honvéd. Cela serait contraire à la tradition d’un pays où les femmes ont toujours égalé les hommes en vaillance, soit, comme les femmes d’Erlau et comme Elisabeth Rakoczy, en défendant des places fortes, soit en maintenant par un effort continu et pacifique le dépôt sacré de la langue et des coutumes nationales, — à la tradition d’un pays qui, dans son ancienne