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répandue aussitôt dans toute la ville de Pesth, parut au balcon de l’hôtel de ville et s’écria : « Le dieu magyar ne le permettra pas ! » L’isolement de cette tribu asiatique au milieu des races européennes et sa destinée vraiment extraordinaire avaient bien pu la faire croire à un génie tutélaire, à un bon démon familier ; comment s’expliquer autrement qu’un peuple si éprouvé eût la vie aussi dure, aussi tenace ? Cette croyance, non pas religieuse, mais politique, a été pour beaucoup dans la confiance des Hongrois au début d’une lutte aussi inégale. Ils étaient nombreux, ceux qui étaient convaincus de leur supériorité nationale et qui regardaient comme un excès de patience, comme un engourdissement véritable, l’attitude modeste et prudente. de la vieille Hongrie parlementaire. « Le peuple magyar est un lion depuis longtemps endormi, et dont le sang est dévoré par les reptiles ; mais voici qu’il s’éveille ! » Il s’éveillait en effet avec un mépris superbe du danger et de ce que la prudence vulgaire appelle l’impossible. Dès le milieu de septembre, le ministère Batthiany répondait à l’invasion croate en ordonnant une levée en masse, aussitôt exécutée par la nation avec un sombre enthousiasme. Dans l’appel adressé par le poète à tous les défenseurs de la patrie et particulièrement aux populations toutes militaires des Cumans, des Hayduques, des Szeklers de Transylvanie, est-ce l’espérance qui domine, est-ce un beau désespoir, ou plutôt ce mélange d’ivresse et de crainte qui précède les grandes aventures ?


« Debout, Magyar ! sur pied, Hayduque, Szekler ! Voyez comme brille le feu de la bataille ; notre âme bout au milieu des éclairs. Embrasser la mort sera pour nous un beau songe.

« Voyez la terre tressaillir de joie : le Szekler patriote accourt de bien loin. Terre, tressaille, ô notre bonne mère ! L’espoir de la victoire revient en nous.

« Où allons-nous ? Dans la tempête, dans le feu. S’il vient un jour où notre nom soit effacé, la moitié du monde descendra au tombeau avec nous ! »


Si vous demandez au conscrit quel est le bien suprême pour lequel on versera joyeusement son propre sang et celui des autres, il vous répondra : La liberté ! et cette liberté, il en donnera une. définition originale et sinistre : « c’est une rose couleur de sang qui fleurit sur les champs de bataille. » Mieux vaut cette autre définition donnée par le même soldat poète : « la liberté est une fleur du ciel qui appartient aux nations. » Il est vrai qu’il ajoute : « Les rois, Les empereurs, qu’ont-ils de commun avec elle ? » Cette note