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II

À peine réuni, le synode s’est partagé en deux partis tranches, la droite et la gauche. Le centre gauche ralliait les moyenneurs ; on a bien parlé d’un centre droit, mais sur le fond des choses il a toujours été d’accord avec la droite. Les hommes les plus éminens du protestantisme officiel, sauf quelques exceptions, siégeaient au synode. La gauche avait une admirable discipline : elle avait fait passer aux élections toute son élite ; la droite eût bien fait de l’imiter sur ce point.

Passons rapidement en revue l’état-major des deux partis. Le nom le plus connu du protestantisme libéral est celui de M. Athanase Coquerel ; . il porte sans faiblir un héritage qui certes aurait pu l’accabler, car l’influence de son père a été considérable et sa notoriété immense. Il est l’ennemi juré de toutes les professions de foi. On lui attribue ce mot paradoxal prononcé un jour dans une réunion pastorale : « si l’on me demandait de signer que deux et deux font quatre, je m’y refuserais. » La liberté illimitée de la pensée est la thèse qu’il a soutenue au synode avec une verve brillante et spirituelle. Son frère, M. Étienne Coquerel, défend la même cause avec une plume habile et acérée de polémiste qui connaît peu les ménagemens ; il a dirigé depuis de longues années l’organe principal du parti. La gauche avait au synode deux de ses prédicateurs les plus distingués, MM. Viguier et Fontanès, présidens des consistoires de Nîmes et du Havre. Elle a eu la bonne fortune de compter dans ses rangs deux des esprits les plus sérieux que l’on puisse rencontrer. M. Pécaut, l’auteur bien connu des Lettres à un pasteur et du Théisme chrétien, est un des hommes qui ont le plus contribué à pousser son parti aux extrêmes. Jusqu’à lui, on avait bien rejeté le surnaturel sous la forme de miracle matériel, mais un miracle moral avait au moins trouvé grâce devant les novateurs : c’était la sainteté parfaite du Christ ; M. Pécaut l’a contestée dans des pages graves, mais qui ne pouvaient manquer de soulever de vives protestations. M. Gaufrés appartient à la même tendance ; il l’a défendue au synode avec autant de franchise que de sincérité. Le défenseur le plus habile, comme le plus savant, de l’école radicale a peut-être été M. Colani, professeur de théologie à Strasbourg avant la guerre. Nous avons rappelé le rôle considérable qu’il a joué dans le mouvement d’émancipation de la théologie française comme directeur de la Revue de théologie et de philosophie. Il a su donner à la science une allure facile et parfois entraînante : ses dissertations sur les points les plus ardus avaient la vivacité d’un pamphlet ; il a déployé les mêmes qualités dans la chaire de professeur. Tout ce qui