Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/761

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

universel, pour lequel il professait un grand amour, car il savait tout ce qu’il vaut quand on le travaille avec art. Nulle condition religieuse de quelque importance ne fut réclamée des électeurs. Le décret du 26 mars introduisit deux autres modifications. Des conseils presbytéraux, réélus tous les trois ans, furent mis à la tête des églises locales ; les consistoires jouèrent à peu près le rôle des anciens colloques. En tête de l’église fut placé un conseil central nommé par le gouvernement, sans attributions définies ; ce ne fut qu’une espèce de paravent commode pour l’autorité civile. Telles sont les institutions qui ont régi le protestantisme français jusqu’au décret du 29 novembre 1871, qui a rétabli le synode général. Il nous reste à dire quelle était sa situation morale et religieuse sous l’influence de ce régime.

Les temps orageux que nous traversons ne permettent pas le calme aux esprits. Il n’y a pas de cadre administratif qui tienne, la vie intellectuelle bouillonne trop activement partout pour s’endormir entre les rives qui lui ont été assignées. Deux courans contraires se manifestèrent promptement au sein du protestantisme français. On ne peut contester qu’à l’époque où le pouvoir civil entreprit de traiter avec lui, il ne fût dans des conditions très favorables au régime concordataire. Tant que la persécution avait été violente, elle lui avait servi de stimulant et de discipline ; mais, à partir du règne de Louis XVI, il jouit d’une certaine tolérance, qui n’allait pas cependant jusqu’à lui permettre de se réorganiser. Cette situation favorisait le relâchement des croyances. Déjà le souffle du XVIIIe siècle avait passé sur le protestantisme ; les philosophes avaient plaidé sa cause, ils avaient mérité sa sympathie. Sans doute l’ancienne doctrine n’était pas niée ouvertement, néanmoins on remarquait un affaiblissement général de la foi et du zèle. On en venait peu à peu à un supranaturalisme vague, comme celui qui fleurissait à Genève, et qui, sans rejeter les miracles, éliminait les plus grands mystères du christianisme. Si cette tendance eût été seule à se développer, tout eût été pour la mieux dans l’église officielle : elle eût paisiblement émargé au budget sans troubler la paix de l’état ; mais le mouvement de rénovation religieuse qui agita l’Europe à la chute de l’empire ne pouvait manquer de l’entraîner. Ce mouvement avait pris naissance en Angleterre sur la fin du XVIIIe siècle. M. de Rémusat a raconté ici même[1] le grand apostolat populaire des Wesley et des Witfield, qui renouvelaient dans la société vieillie et sceptique du XVIIIe siècle les scènes émouvantes des premières missions chrétiennes. Ces prédications en plein air

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1870.