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réfugié, » qu’il ne parle pas pour des initiés, mais qu’il se sert du langage de son temps et de son pays. Les sujets débattus dans ce synode étaient d’ailleurs de l’intérêt le plus élevé et le plus général. Au fond, il n’a traité qu’une seule question, celle de savoir si le christianisme est une religion, c’est-à-dire une révélation, ou s’il peut encore mériter son nom en étant une simple philosophie, une école ouverte dans laquelle toutes les doctrines ont le droit de se produire. Selon la solution qui sera donnée à cette question, l’organisation ecclésiastique sera profondément modifiée. Si le christianisme est une religion, il demande qu’on lui reconnaisse ce caractère dans toute association qui se réclame de lui, et la négation de la révélation n’y est pas tolérable. S’il n’est qu’une philosophie, qu’une simple élaboration de l’esprit humain, il n’a aucun droit d’exclusion quelconque, et il peut ouvrir le panthéon des idées après que celui des dieux a été fermé. Toute confession de foi, toute discipline est inacceptable à ce point de vue. C’est ainsi que la question du fond emporte celle de la forme. Essence de la religion chrétienne, organisation de l’église, droit de ses membres, rapports de l’autorité et de la liberté, tous ces problèmes sont inséparables, et le synode de l’église réformée a dû les aborder de front par la nécessité même de sa situation. Pour faire comprendre ses délibérations, nous devons mettre en lumière cette situation religieuse, qui est très complexe. En effet, les principales difficultés du protestantisme français viennent du régime concordataire, qui, ici comme partout, introduit les complications les plus graves non-seulement dans les relations de l’église et de l’état, mais dans l’organisation intérieure de chaque église. Il est indispensable de jeter un rapide coup d’œil sur l’histoire antérieure de la réforme française pour nous expliquer par quelles circonstances elle en est venue à ses déchiremens actuels.

Cette histoire est assurément l’une des plus belles et des plus grandes dans les annales de la religion. Au commencement du XVIe siècle, la France était préparée aux idées nouvelles par sa ferme résistance à l’ultramontanisme et par la haute culture de ses universités. Ce qu’on appelait dédaigneusement à Rome l’esprit sorbonique et français était tout imprégné du souffle de la renaissance et incliné d’avance à la rénovation religieuse. Gerson, l’illustre représentant de l’Université de Paris au concile de Bâle, atteste à lui seul combien ces aspirations étaient profondes. Aussi, presque au même moment où la réforme éclatait en Allemagne à la voix puissante de Luther, elle naissait en France sur plusieurs points à la fois, et se développait spontanément avec une rapidité remarquable. Elle n’était pas seulement l’écho de l’émancipation de l’Allemagne, elle eut tout de suite son caractère propre : dès le premier jour, elle fut tout