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abdiqué ? — tant qu’il y aura lieu de craindre que les partis ne tiennent en réserve cette arme fatale, elle verra toujours avec inquiétude cette invocation persistante d’un droit périlleux qui peut aussi bien tuer que délivrer, et qui se retourne si souvent contre ceux qui l’emploient.

Aujourd’hui, au lieu de célébrer les anniversaires de la force, il faut se demander à quelles conditions on peut les éviter désormais. Au lieu de fêter la première des grandes journées révolutionnaires, il faut chercher comment on peut couper court pour jamais à de pareilles journées. Comme il arrive toujours, tous les partis travaillent contre eux-mêmes et dans l’intérêt de leurs adversaires. Rien ne peut éloigner plus de la démocratie que la prétention de la couvrir sans cesse d’un drapeau de rébellion. La France en particulier ne peut plus supporter de telles épreuves sans périr, ou du moins sans renoncer pour jamais à la grandeur de ses destinées. On ne connaît que trop la triste histoire des coups de force qui, depuis 89 jusqu’à nos jours, ont mis entre les mains des partis ce pouvoir souverain que la révolution attribuait en principe à la nation, et qu’elle n’a jamais exercé en réalité ; néanmoins, quelque connue que soit cette histoire, il faut encore une fois se la remettre sous les yeux, afin que le souvenir toujours présent de nos fautes nous inspire le ferme propos de nous corriger.

C’est donc au lu juillet 1789 que commence cette série de coups de force qui ont livré successivement la France à tant de gouvernemens différens. Ce jour-là, la royauté absolue succombe, et cède la place à la monarchie constitutionnelle. Au 10 août 92, celle-ci est renversée et remplacée par la république. Au 30 mai et au 2 juin 1793, la république légale est remplacée par le gouvernement révolutionnaire[1]. A partir du 9 thermidor 1794, une sorte de légalité subsiste jusqu’en fructidor 1797. Le 18 fructidor est le premier coup d’état militaire accompli en France, et il l’a été par les jacobins : il a mis fin au règne légal du directoire ; il y a substitué le règne éphémère du directoire révolutionnaire. Celui-ci est renversé au 18 brumaire et remplacé par le gouvernement militaire ; 1814 arrive, et, quoique l’invasion des étrangers ne soit pas un acte de violence populaire, on reconnaîtra que c’est une manière bien incorrecte pour un gouvernement de s’établir dans un pays que d’y rentrer, sinon par, au moins avec les étrangers ; L’année suivante, au 20 mars, nouveau mouvement qui renverse la royauté légitime et ramène le gouvernement militaire, et nouveau retour des

  1. Nous ne comptons pas ici le 9 thermidor, puisqu’il n’a été que la victoire de l’autorité légale sur une minorité insurrectionnelle.