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stipulées au cahier des charges, c’est au public, à l’opinion d’empêcher le règne du bon plaisir, sous quelque forme qu’il cherche à renaître, et le moins que le public et l’opinion puissent faire, c’est assurément de se prononcer toujours et partout en faveur de la nationalité française.

La section musicale de l’Institut vient de perdre le doyen de ses membres. Né à Naples en 1787, le comte Carafa de Colobrano n’avait pas moins de quatre-vingt-cinq ans, et bien des gens, en apprenant sa mort, vont s’étonner qu’il fût encore de ce monde. C’est qu’en effet depuis longtemps l’auteur du Valet de chambre, de Masaniello, de la Violette et de la Prison d’Edimbourg ne faisait plus parler de lui. Oublié du public, il s’était retiré près de Rossini, à l’ombre duquel il vécut en ami fidèle et résigné, puis, à la mort du grand maestro, il disparut, ses intimes eux-mêmes le perdirent de vue. L’âge, les infirmités l’envahissant, il s’était stoïquement mis à l’écart pour finir dans le silence une vie toujours très digne, et qui n’aura pas été sans quelque gloire. Musicien habile et connaissant le théâtre, M. Carafa n’a jamais pratiqué qu’un seul style : le rossinisme continu, intense, absolu. D’autres, Boïeldieu, Hérold, eurent le coup de feu ; chez M. Carafa, l’insolation dura toute la vie. Je ne parle pas de ce fameux Abufar, que j’ignore, partition de jeunesse idolâtrée de son auteur, et dans laquelle, vous disait-il par momens, Rossini avait trouvé son trio de Guillaume Tell ; mais ce que je sais, c’est que tout le répertoire français de M. Carafa porte au plus haut degré ce caractère d’imitation. Masaniello, qui fut représenté avec succès à l’Opéra-Comique, aux beaux jours où s’inauguraient à l’Opéra les destinées de la Muette, Masaniello n’est cependant point un ouvrage à dédaigner. Le souffle de l’inspiration traverse par intervalles cette musique, les ensembles y sont vigoureusement maniés, et le duo, trop célèbre à mon sens, de Masaniello et de Piélro dans la Muette est loin de valoir, pour la sincérité de l’expression, le morceau écrit par Carafa sur ces paroles : Masaniello, sers encor ta patrie. Chose remarquable, deux musiciens composent un opéra sur le même sujet ; de ces deux hommes, l’un est Français, l’autre Italien, Napolitain, s’il vous plaît, et c’est le Français, c’est Auber qui, sans avoir jamais mis le pied en Italie, trouve la couleur vraie, le pittoresque du sujet. Masaniello, conçu tout à fait à l’italienne, n’offrait aucun agrément à la curiosité de cette période, à son romantisme, dont la Muette, rompant tout à coup avec la tradition académique de l’opéra grec et romain, vous apparaît comme la rayonnante émanation. Cependant la partition de Carafa ne méritait pas de périr tout entière. Plusieurs fois il fut depuis question de la reprendre, et toujours l’entreprise échoua, tant le nom vieilli et démodé de Carafa causait d’effroi à tous les directeurs de théâtre.

Noble et digne homme, chacun l’aimait et l’estimait ; mais tout le monde plus ou moins craignait sa musique, les directeurs plus encore que vous et moi. Il y avait même en cela quelque chose de cette