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aussitôt reparti pour l’Italie. Que peut bien aller faire à Padoue en cette saison un directeur de l’Opéra, sinon aller demander à Verdi son Aida, écrite pour le vice-roi d’Égypte et représentée sur le théâtre d’Alexandrie ? Ainsi, tandis que notre école attend sous les armes le signal d’entrer en campagne, l’homme à qui le pays accorde un subside de huit cent mille francs pour faire les affaires de la musique française déserterait à l’étranger, et, dans un moment aussi grave que celui où nous sommes, irait solliciter d’un Italien une œuvre qui n’a pas même le mérite d’être inédite, et donnerait à ce remaniement, à cette turquerie, le pas sur des ouvrages nouveaux de M. Victor Massé, de M. Mermet, de M. Félicien David ! Est-ce que M. le directeur de l’Opéra s’imaginerait par hasard qu’après avoir monté la Coupe du roi de Thulé et pour huit jours exhumé de son sarcophage la Psyché momifiée de M. Thomas, l’opinion le tiendra quitte des devoirs qui l’obligent envers la France ? Il ferait beau voir Aïda s’installer superbement sur le théâtre de la rue Le Peletier, tandis que Paul et Virginie et Jeanne d’Arc iraient se remiser à la Gaîté, où tant bien que mal on leur dresserait un gîte. C’est là cependant ce qui, selon toute vraisemblance, arriverait. Le Théâtre-Lyrique est à reconstituer, la spéculation a les yeux ouverts et, deux ouvrages tels que ceux dont nous parlons, si l’Opéra les laissait échapper, ne seraient pas perdus pour tout le monde.

Aux mécontens qui nous reprocheraient la vivacité de notre discussion, nous répondrions que, lorsqu’il s’agit d’une cause vraiment juste, c’est assez de la comprendre, de la sentir pour se passionner, — et quelle cause plus légitime que celle que nous soutenons : le droit de nos compositeurs à se faire représenter sur une scène française où les ouvrages étrangers n’auraient dû jamais figurer qu’à titre d’exception, de chefs-d’œuvre ? Si le contraire existe, si dans le répertoire de l’Opéra ce sont les partitions de musiciens français qui forment aujourd’hui l’exception, il faut voir là les tristes restes d’un passé contre lequel les honnêtes gens n’ont qu’à réagir. Lorsque la vérité est en procès, pas n’est besoin d’être une grande personnalité pour faire prévaloir sa cause. Souvenons-nous des scandales auxquels nous avons assisté sous le régime déchu, de ces influences de salon et de palais qui, dans le désœuvrement de la vie mondaine, s’amusaient à comploter de folâtres excursions en Allemagne, et comme par lettres de cachet forçaient un directeur à jouer Tannhäuser à l’Opéra. De tels abus ne peuvent plus venir d’en haut, et nous ne voulons pas que personne les renouvelle :

Après Agésilas,
Hélas !
Mais, devant Aïda,
Holà !

Aujourd’hui qu’il n’y a plus de liste civile et que le directeur de l’Opéra reçoit de l’état une somme qu’on lui alloue à certaines conditions