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force aux prises avec la faiblesse désarmée d’un pouvoir spirituel. Que M. de Bismarck nargue le saint-siège et rappelle avec sa hautaine ironie, qu’on n’est plus au temps où les empereurs d’Allemagne allaient faire amende honorable aux genoux du saint-père à Canossa ; soit ; il n’impose pas pour cela silence au pape, qui lui répond sans se gêner en recevant les Allemands du cercle catholique de Rome : « La persécution est donc commencée en Allemagne ! À la suite des succès qu’il a remportés, le premier ministre d’un gouvernement est devenu l’auteur principal de cette persécution ; mais nous lui avons fait dire que tout triomphe sans modestie est passager, et que le triomphe avec un esprit de persécution est la plus grande sottise du monde… Soyez confians, car un caillou tombera de la montagne qui brisera les pieds du colosse… » C’est là peut-être un singulier genre de diplomatie dans une lutte qui commence à peine.

Un orateur disait, il y a peu de temps, dans le parlement de Berlin : « Que peut bien vouloir Ie chancelier impérial avec sa politique ? » Il est bien clair que M. de Bismarck ne s’engage pas dans cette campagne par une inspiration de fanatisme religieux. Ce qu’il poursuit, c’est le particularisme, c’est l’esprit de résistance à l’unité allemande, qu’il entrevoit ou qu’il croit entrevoir dans le catholicisme, dans les ordres religieux relevant de Rome, chez les jésuites. Voilà pour le moment l’objectif de ce grand tacticien, qui ne peut rester en repos. Que M. de Bismarck défende son œuvre comme il l’entend, c’est son affaire, ce n’est point le nôtre assurément, et ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’on mêle la France à tout cela, en lui donnant un rôle assez imprévu. À entendre certains orateurs, certains publicistes d’outre-Rhin, l’Allemagne est en danger. Les jésuites sont les alliés de la France dans la guerre future, qui se prépare déjà ; ils forment une puissance secrète qui attise les haines, qui noue des combinaisons occultes, qui multiplie les associations religieuses destinées à devenir un jour ou l’autre les auxiliaires les plus actifs de la France, le dissolvant le plus énergique pour l’unité germanique. Il n’y a plus un instant à perdre, si l’on veut se mettre en garde ! Tout cela est assez puéril, et si les Allemands nous accusent souvent de nous méprendre sur la situation morale des autres pays, convenons qu’ils se font eux-mêmes quelquefois de bizarres chimères. Eh ! non, la France ne se livre à aucun de ces calculs machiavéliques ; elle ne prépare aucune campagne avec les jésuites pour avant-garde. Elle ne s’occupe de l’Allemagne que pour la payer, pour la mettre hors de son territoire. Pour le reste, tout ce qu’elle peut faire de mieux, c’est de rester la spectatrice de ces luttes où l’Allemagne déploie pour l’instant son humeur guerroyante. M. de Bismarck lui-même ne croit point un mot de ce qu’il dit ou de ce qu’il laisse dire à ce sujet ; mais c’est un moyen d’intéresser le sentiment national allemand à cette campagne après tout fort peu libérale contre les ordres religieux.