Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sions de religion ne se manifestaient pas dans les chambres, le clergé catholique ne se plaignait pas, et à la fin de 1870 le pape lui-même se croyait tenu de ne point refuser ses complimens au roi Guillaume mettant sur son front la couronne impériale.

Depuis un an tout est changé, la guerre est déclarée entre M. de Bismarck et ce que le prince-chancelier appelle l’ultramontanisme ou « l’Internationale noire. » Les questions religieuses ont envahi le parlement de Berlin, où il y a maintenant un parti catholique assez puissant qui compte des orateurs distingués comme un ancien ministre hanovrien, M. Windthorst, comme M. de Mallinckrodt. Le gouvernement prussien a commencé ouvertement sa campagne par la loi qui enlève aux membres du clergé l’inspection des écoles, et il en est venu bientôt à présenter une loi qui a été tout récemment votée, qui expulse sans phrases les jésuites « et autres congrégations analogues, » ce qui laisse à la police la liberté de faire tout ce qu’elle voudra, pourvu qu’elle puisse dire qu’un ordre religieux quelconque, fût-ce l’ordre des frères de la doctrine chrétienne, a de l’analogie avec les jésuites. Une fois cette lutte engagée, les incidens se sont succédé naturellement. Sous prétexte de protéger les « vieux-catholiques, » les adversaires de l’infaillibilité, contre les autorités diocésaines demeurées fidèles aux décisions du concile du Vatican, le ministère de Berlin a tiré du fourreau les armes de la répression. Il a suspendu le grand-aumônier de l’armée, M. Namczanowski, suspect d’ultramontanisme. Il est en conflit ouvert avec l’évêque d’Ermland, M. Krementz, qui a frappé d’interdiction un professeur anti-infaillibiliste, et qui se voit depuis quelque temps menacé d’être privé de ses revenus temporels. En un mot, la guerre est engagée, et, comme il était facile de le prévoir, les rapports du cabinet impérial et du saint-siège n’ont pas tardé à s’en ressentir, surtout depuis que la cour de Rome a refusé de recevoir comme ambassadeur allemand le cardinal prince de Hohenlohe. N’a-t-on pas même dit que le gouvernement prussien en était déjà à essayer de nouer des négociations en Europe, à préparer les moyens de ménager à l’Allemagne une influence proportionnée à son ambition dans le futur conclave, dans les élections d’où sortira un nouveau pape à la mort de Pie IX ? M. de Bismarck est certes très fort et très habile. Il sait varier ses amitiés selon les circonstances, ainsi qu’on le lui a dit avec esprit dans le Reichstag. Dans cette lutte nouvelle qu’il soutient, il a des auxiliaires de toute sorte, les « vieux-catholiques » tels que M. Dœllinger, les libres penseurs, les ennemis des jésuites, même les révolutionnaires, « qui jadis étaient condamnés à l’exil, » et dont il sait se servir à l’occasion. Il ne peut se dissimuler cependant qu’il a cette fois devant lui une de ces puissances qu’on ne réduit pas avec le canon Krupp ou avec la stratégie de M. de Moltke, et qu’il n’est pas toujours sans danger d’offrir ce spectacle de la