Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Au XVIIe siècle, on ne songeait pas aux pays lointains sans penser aux affaires de la religion. Le doux prêtre que plus tard on appellera saint Vincent de Paul avait fondé la mission pour répandre la loi chrétienne parmi les barbares ; il accueillit avec bonheur la proposition d’envoyer des ecclésiastiques à Madagascar. En 1648, le vaisseau qui portait M. de Flacourt emmenait deux missionnaires ; en 1654, les navires du maréchal de La Meilleraye en déposaient plusieurs autres sur la grande île. Ces pauvres gens, remplis d’un zèle magnifique, prenant peu de repos, s’imposant des fatigues et des privations, succombèrent à la peine ; sept étaient morts dans l’espace de quelques années. Occupés d’une manière exclusive de l’œuvre évangélique, mieux que personne les missionnaires fournissent l’occasion de reconnaître combien il eût été facile aux Européens de vivre en bonne intelligence avec les indigènes. Dans des lettres adressées à l’abbé Vincent de Paul, ils ont consigné les résultats des visites dans les villages et des entretiens avec les habitans[1]. L’abbé Nacquart, qui le premier parcourt les environs du fort Dauphin, est charmé de la docilité des Malgaches ; l’abbé Bourdaise, qui lui succède, se montre aussi heureux. Partout les prêtres étaient bien accueillis d’une grande partie de la population ; ils n’étaient pas inquiétés par les nobles, qui, ne voulant pas renoncer à de vieilles pratiques, refusaient de les entendre. Près de ces derniers, l’obstination était une faute ; un terrible événement sera bientôt la preuve qu’elle pouvait devenir un crime préjudiciable à tous les intérêts. Les missionnaires avaient les yeux à peu près fermés devant les choses les plus intéressantes ; par hasard cependant, l’abbé Bourdaise fait une remarque propre à convaincre que des Malgaches sont capables de devenir d’excellens ouvriers ; il voit travailler un orfèvre, et il s’étonne : la forge est un petit plat de terre, le soufflet un chalumeau, l’enclume une tête de clou. « Avec cela, dit-il, ces gens-là font des ouvrages si délicats et si bien façonnés qu’il faut les avoir vus pour y croire. »

Après le départ de Flacourt, l’état de la colonie est profondément misérable. Par accident, le fort Dauphin brûle ; Pronis meurt, ses deux lieutenans se comportent envers les indigènes comme des bêtes féroces. Champmargou prend le gouvernement ; les Français continuent d’aller en courses pour se procurer des vivres. En 1663

  1. Mémoires de la congrégation de la Mission, t. IX, 1866. — L’ouvrage relatif à la mission de Madagascar (sans nom d’auteur) est l’œuvre de l’abbé Durand, autrefois prêtre missionnaire, et depuis curé de Maule (Seine-et-Oise).