Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tionnaires et puisse être soupçonné de connivence avec le radicalisme, même quand les radicaux voteraient quelquefois pour lui ? Franchement ce n’est pas bien sérieux. Est-ce que M. Thiers a hésité récemment à se prononcer contre une amnistie en faveur des condamnés de la commune ? Est-ce qu’il n’a pas déployé ces jours derniers autant de promptitude que de vigueur dans la répression des grèves qui ont troublé les bassins houillers du Nord et du Pas-de-Calais ? Est-ce qu’il n’a pas rassuré, il y a peu de temps, tous les scrupules en déclarant bien haut, avec netteté, que le gouvernement s’opposerait à toute agitation tendant à la dissolution prématurée de l’assemblée ? Que faut-il de plus ? Pense-t-on que les 40 milliards qui viennent de se présenter à l’emprunt ont cru aller se mettre entre les mains d’un dangereux révolutionnaire ? En fait de manifestations, celle-là en vaut bien une autre, et il faudrait prendre garde de ne point s’exposer à témoigner des défiances méticuleuses au moment même où un gouvernement reçoit de telles marques de confiance universelle. Après cela, il est bien certain qu’il reste toujours un point obscur. Si on veut obtenir de M. Thiers quelque démonstration monarchique, une interprétation du pacte de Bordeaux, telle qu’on ne doive rien faire de bon, de peur d’aider à l’affermissement de la république, il est clair qu’on ne peut s’entendre ; le système du chef du pouvoir exécutif est en vérité aussi simple que possible. M. Thiers a reçu un gouvernement qui s’appelle la république, il veut loyalement rendre la république, et jusque-là il entend maintenir toutes les conditions d’une politique conservatrice ; il ne décline pas ce titre de chef d’une république conservatrice. Sans doute le pays reste toujours le maître de disposer de la forme définitive de ses institutions ; mais si la république, entourée de toutes les garanties d’ordre et de sécurité, finissait par s’établir, les monarchistes seraient-ils bien sûrs de ne l’avoir pas aidée à se fonder sans le vouloir ?

Les partis commettent quelquefois de ces méprises. La république peut trouver des complices involontaires parmi les monarchistes qui la repoussent, comme aussi elle a sûrement aujourd’hui ses plus dangereux ennemis parmi tous les révolutionnaires qui ne jurent que par elle. Le malheur du radicalisme, c’est de se figurer qu’il est un système de gouvernement lorsqu’il n’est qu’un système d’agitation, un fanatisme de secte, une fantaisie de jacobinisme dictatorial se mettant sans façon au-dessus de la volonté et des intérêts du pays. Il le montre en toute circonstance, et surtout quand il choisit de tels momens pour aller célébrer en province des anniversaires comme celui de la prise de la Bastille. À quoi peut bien répondre aujourd’hui cette évocation de la prise de la Bastille, si ce n’est à ce besoin instinctif de fêter les souvenirs d’insurrection de tous les temps ? Donner des banquets à La Ferté-sous-Jouarre, à Toulouse ou à Bordeaux, lorsqu’une partie de notre territoire est encore occupée par l’étranger, voilà de l’à-propos, si nous ne nous