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Dans les gymnases allemands, les devoirs écrits ne servent qu’à montrer si l’on a profité des lectures ; c’est le contraire chez nous : les lectures ne servent qu’à composer des devoirs écrits. Quand nous faisons lire à l’élève les grands auteurs de l’antiquité, c’est toujours avec la pensée de les imiter. Il les étudie non pas pour eux, mais pour lui. Ce qu’il remarque en eux, ce n’est pas ce qui les caractérise en propre, c’est au contraire ce qui. est de tous les pays et de tous les temps, et dont il peut par conséquent faire son profit. Il les feuillette comme un cahier de bonnes expressions où il doit se fournir d’idées piquantes et de termes heureux : aussi arrive-t-il souvent qu’il les a lus sans les connaître ; en revanche, il finit par devenir très habile à s’approprier leurs pensées et leur style. S’il est intelligent et studieux, au bout de quelque temps il connaît leurs procédés à fond et sait les reproduire. Avec les idées et les phrases des autres, il est devenu une sorte d’écrivain. On voit comment le premier résultat de cette éducation a été de créer une nation très lettrée ; elle a fait de la France entière un grand public, très capable de goûter et de juger les œuvres littéraires, mais difficile, délicat, vétilleux, car il n’est presque personne chez nous qui n’ait écrit et ne connaisse un peu par expérience les secrets et les finesses du métier. Ce public a quelquefois excité et quelquefois retenu nos écrivains. Si les grandes qualités de l’art français sont en partie son œuvre, il est responsable aussi de quelques-unes de nos imperfections. Il nous a tour à tour arrêtés dans notre élan et prémunis contre les chutes, — en somme, nous lui devons deux siècles de grandeur incontestable ; il est juste de lui en faire honneur, et il faut reconnaître en même temps que, comme il devait ses principales qualités à son éducation, cette éducation n’a pas été inutile à notre gloire. Si M. Bréal avait eu le dessein de faire dans son livre l’histoire de notre enseignement secondaire, on pourrait lui reprocher de n’avoir pas rendu justice aux effets heureux de cet enseignement dans le passé ; mais il ne s’occupe que du présent, il cherche uniquement à connaître si ces anciennes méthodes nous conviennent encore, quels fruits elles produisent aujourd’hui dans nos lycées. Il lui paraît difficile, quand on se borne à les étudier de nos jours et dans leurs rapports avec la génération présente, de conserver la même admiration pour elles, et d’avoir autant de confiance en leur efficacité.

C’est une vérité banale que, chaque siècle ayant sa vocation spéciale et son rôle particulier dans l’histoire, des générations dont la destinée n’est pas la même ne peuvent pas être tout à fait élevées de la même façon. Quand l’éducation s’obstine à rester immobile au milieu du mouvement général, elle se condamne elle-même à devenir bientôt inutile ou nuisible. On ne tarde pas à reconnaître alors à des signes certains qu’elle ne suffit plus à sa tâche. Une sorte de langueur se répand dans