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Il ne se dissimule pas par exemple que l’enseignement primaire qu’on donne dans les maisons ecclésiastiques est très superficiel, il sait « qu’elles ne distribuent trop souvent qu’un savoir incomplet et précaire ; » mais s’ensuit-il qu’on ne doive laisser debout que l’enseignement laïque, et qu’on ait le droit de fermer toutes les écoles des prêtres ? M. Bréal ne le croit pas. « Outre qu’une telle suppression, dit-il, serait une atteinte au droit des familles et à la liberté des citoyens, le premier résultat qu’elle produirait serait de faire dégénérer en lutte ouverte la guerre sourde qui existe entre le prêtre et l’instituteur ; chacun de nos paysans aurait dès lors à choisir pour son enfant entre l’école mise en interdit ou l’église sans l’école. La rupture entre l’état et le clergé serait la conséquence dernière d’une telle loi, qui n’est pas moins contraire aux principes de la vraie démocratie et aux doctrines d’une politique libérale qu’aux sentimens et aux droits de la partie croyante de la nation. » M. Bréal est partisan décidé de l’enseignement obligatoire, et, comme bien des gens supposent que la prétention d’apprendre à lire à tout le monde n’est qu’une nouveauté chimérique, il rappelle fort à propos qu’aux états-généraux de 1560 la noblesse demandait qu’on levât une contribution « afin de stipendier des pédagogues et gens lettrés en toutes villes et villages pour l’instruction de la pauvre jeunesse du pays, » et qu’elle voulait qu’on forçât les pères et mères, à peine d’amende, d’envoyer leurs enfans à l’école, « et qu’à ce fait ils fussent contraints par les seigneurs et juges ordinaires. » En somme, il n’insiste guère néanmoins sur ce remède souverain, dont tant de gens s’exagèrent l’importance. Selon lui, la régénération de l’enseignement est ailleurs : il importe sans doute qu’on le répande, mais il faut avant tout qu’on l’améliore. Pour que le principe de l’obligation produise tous les bons effets qu’on attend, on doit s’occuper d’abord de donner dans les écoles une instruction solide, « qui développe la réflexion et le jugement, qui grave dans l’intelligence des connaissances positives et laisse après elle le désir d’apprendre, qui soit en un mot non pas le semblant, mais la réalité de l’instruction. » C’est précisément ce qui nous manque le plus. Le vice dont souffre notre enseignement et dont la France souffre avec lui se résume en un mot : nos méthodes sont incomplètes ou mauvaises ; il faut s’empresser de les changer, et c’est par là que doivent commencer les réformes. Tel est le sentiment de M. Bréal et la conclusion de son livre.

M. Bréal s’occupe de l’enseignement à ses trois degrés, et il est d’avis qu’à tous les étages des réformes sont indispensables. On l’admet assez généralement pour l’instruction primaire, et presque tout le monde reconnaît la nécessité de l’étendre et de la fortifier : on en convient volontiers pour l’enseignement supérieur, où tout est à faire, et l’on est d’accord qu’en réalité il existe à peine chez nous ; mais on sera sans doute