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son arrivée en France, il montrait comment tout s’y passait au rebours de son pays : de l’autre côté du détroit, liberté politique, rigidité, esclavage dans les mœurs ; à Paris, despotisme dans le gouvernement, liberté pleine et entière dans les usages du monde, le règne des femmes. La mode et les réputations, la littérature et les arts, la philosophie même, relèvent de leur empire. Rien ne se fait sans elles, tout s’obtient par elles. L’âge même, quand il vient, ne fait que consacrer leur influence. La cousine de Horace, lady Hertford, l’en avertit finement. « En Angleterre, lui disait-elle, l’âge entre trente et quarante ans n’est pas précisément celui où les femmes ont le plus d’admirateurs ; ici vous verrez qu’à cet âge elles sont beaucoup plus à la mode que les très jeunes femmes. » On m’assure que cette observation n’a rien perdu de sa justesse à vieillir. Walpole se laisse entièrement séduire par ce charme des Françaises ; à ses yeux, elles l’emportent de beaucoup sur les hommes, qui lui paraissent vains et ignorans. Et plus tard, résumant ses impressions dans un souvenir définitif sur les différentes sociétés et les différentes nations, « quels sont les gens vraiment agréables que j’ai connus ? » se demande-t-il, et il se répond à lui-même : « un grand nombre de Françaises, quelques Anglais, peu d’Anglaises et extrêmement peu de Français. »

Au commencement de son séjour en France, il est tout désorienté. La contrainte que lui impose l’usage d’une langue étrangère et l’obscurité qui environne la plupart des sujets de conservation, comme il arrive quand on tombe dans un milieu nouveau, l’empêchent d’abord de jouir de ce laisser-aller qui est le propre de cette société. Il s’y amuse, mais il n’y est pas à son aise. Peu à peu cependant il se possède mieux, il se dirige, il se fait accepter tel qu’il est, écouter quand il parle, avec son tour d’esprit, son français exotique et son accent. « Je m’étais d’abord trouvé enveloppé d’un affreux nuage de whist et de littérature et j’y étouffais ; à présent je commence en véritable Anglais à établir mon droit de vivre à ma guise. Je ris, je débite des folies et je me fais écouter. Il y a quelques maisons où je suis tout à fait à mon aise : on ne m’y demande jamais de toucher une carte ni de faire une dissertation ; je ne suis pas même obligé de rendre hommage à leurs auteurs. Chaque femme en a toujours un ou deux plantés chez elle, et Dieu sait comme elle les arrose ! » Quelques succès de salon le mettent à la mode ; la lettre supposée du roi de Prusse à Jean-Jacques Rousseau, l’amitié passionnée de Mme Du Deffand mettent le comble à l’engouement. Son fou moquer, comme disait sa spirituelle amie, réussit à merveille. Le voilà lancé, et jusqu’à la fin de son voyage ce ne sera plus qu’un triomphe. Aussi que de femmes charmantes