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un intérêt tout britannique, non sans mélange de raillerie. C’est le 28 février 1766 que se produit cet événement international : « Aujourd’hui, je suis allé par le bois de Boulogne à la plaine des Sablons pour assister à une course de chevaux montés en personne par le comte de Lauraguais et par lord Forbes. Tout Paris était en mouvement depuis neuf heures du matin ; les carrosses et la foule étaient innombrables pour voir un spectacle si nouveau… Lauraguais a été distancé au second tour : ce qui ajoutait au piquant de l’aventure, c’est qu’au même moment son frère était à l’église pour se marier ; mais, comme Lauraguais est assez mal avec son père et avec sa femme, il a choisi cet expédient pour constater qu’il n’était pas au mariage. » Cette victoire du cheval anglais fut fort mal accueillie par l’opinion ; l’affaire eut des suites, et il fallut l’intervention de l’autorité pour les arrêter. Le cheval de Lauraguais étant mort le lendemain, les chirurgiens jurèrent qu’il avait été empoisonné. On soupçonna fort un groom « qui, ayant lu sans doute Tite-Live et Démosthène, aurait donné le poison d’après une recette patriotique pour assurer la victoire à son pays. » Les choses allèrent si loin que, pour éviter un redoublement d’animosité nationale » le roi crut devoir interdire une autre course, qui devait avoir lieu le lundi suivant entre le prince de Nassau et M. Forth. « Pour moi, ajoute Walpole, j’ai essayé d’étouffer tout ce feu en les menaçant de la rentrée de IL Pitt au ministère, et cela a produit quelque effet. »

C’était le temps où l’anglomanie faisait rage. Le whist et Clarisse Harlowe, qu’il rencontre partout, excitent sa raillerie ; le succès de David Hume l’irrite. — Hume, qui se trouvait alors à Paris en qualité de secrétaire de l’ambassade d’Angleterre, profitait de l’engouement général pour tout ce qui était anglais. Il y menait la vie la plus agréable et la plus fêtée. « Ces dames ne pouvaient se passer de lui à leur toilette. À l’Opéra, sa face large et vulgaire ne se montrait qu’entre deux jolis minois. » Cette rivalité inattendue étonne quelque peu Walpole et le met d’assez méchante humeur. « M. Hume, écrit-il, est ici la mode personnifiée, quoique son français soit presque aussi inintelligible que son anglais. » — « Aurait-on pu croire, dit-il ailleurs, que Richardson et M. Hume deviendraient leurs favoris ? Ce dernier surtout est traité ici avec une parfaite vénération. Son Histoire d’Angleterre, si falsifiée sur une foule de points, si partiale sur tant d’autres, si inégale dans toutes ses parties » passe ici pour le modèle de l’art d’écrire. » Le grand seigneur n’est pas juste pour l’écrivain écossais : sa distinction aristocratique est choquée par cet extérieur commun, cette parole lourde et embarrassée. Il n’a pas l’air de se douter de cette portée d’esprit philosophique