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ses voisins, tous grands chasseurs, grands buveurs, amis des longs repas et habitués à se reposer le soir, sous la table, des rudes exercices de la journée.

Il arrive à Paris le 12 septembre 1765, sans avoir fixé d’avance la durée de son voyage ; il voudrait s’y plaire assez pour rester jusqu’au mois de février, « ce qui arrivera, dit-il, s’il peut supporter son premier lancement dans une nouvelle société. » Il compte bien d’ailleurs ne faire qu’un voyage d’amusement et d’observation mondaine. Il évitera la peste politique qu’il vient d’abandonner à Londres. Il ne vient pas pour faire la connaissance des ministres, pour étudier le gouvernement et les lois, ni réfléchir sur les intérêts des nations. Il a vu de près la vanité de tout ce qui est sérieux et la fausseté de tout ce qui a la prétention de l’être. Ses vœux se bornent à fréquenter quelques maisons agréables, « à voir les théâtres français et acheter de la porcelaine française. » — Mais avec un esprit aiguisé comme le sien ce programme modeste ne l’arrêtera pas longtemps, et sous la surface des choses, où veut se jouer cette sagesse épicurienne, il démêlera bien des ressorts secrets, il saisira plus d’une intrigue et ajoutera quelques traits vifs et nouveaux à l’image connue de cette société qui n’est déjà plus qu’une brillante décadence.

Au mois de septembre 1765, comme un siècle après, la société parisienne est dispersée. On n’allait guère en ce temps-là aux eaux, que dans le cas de maladies sérieuses ; mais on émigrait pendant quelques semaines dans les châteaux, sans trop s’écarter pourtant du rayon de la cour. Mmes d’Aiguillon, d’Egmont et de Chabot, ainsi que le duc de Nivernois, sont à la campagne ; Mme de Boufflers est à l’Isle-Adam, chez le prince de Conti. La cousine de Walpole, lady Hertford, l’ambassadrice d’Angleterre, profite de cet intervalle de solitude pour ajuster son cousin à la dernière mode. Un Anglais, même élégant, n’aurait eu l’air dans ce monde-là que d’un provincial. « Milady Hertford, écrit Walpole quelques jours après son arrivée, m’a découpé en morceaux et m’a précipité dans un chaudron avec des tailleurs, des perruquiers, des fabricans de tabatières, des marchands de modes, etc. Tout cela a été bientôt fait, et j’en suis sorti complètement neuf, avec tout ce qu’il me fallait, excepté la jeunesse. Le voyage m’a remis comme par enchantement ; mes forces, si elles peuvent s’appeler ainsi, me sont revenues en entier, et ma goutte s’en va sur un pas de menuet. » Comme détail de mœurs et pour n’avoir plus à y revenir, ce qui frappe d’abord la délicatesse du voyageur, c’est, comment dirais-je ? tout simplement et dans son style à lui, le défaut de propreté. « Au milieu de tant de luxe, de politesse et d’élégance, je me trouve prodigieusement