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I

Nous ne dirons rien du premier voyage de Horace Walpole en 1739 et des lettres qu’il écrivit alors à Richard West, son camarade à Éton. Horace avait alors vingt-deux ans ; il voyageait en compagnie de Thomas Gray, le poète lyrique, un autre camarade de collège, et se rendait avec lui en Italie en traversant Paris. Ces lettres ne manquent ni d’intérêt ni d’esprit, mais l’observateur est bien jeune ; en deux ou trois mois, on ne pénètre pas à fond une vie et une société nouvelles ; évidemment il n’a vu Paris que du dehors et dans la rue, en courant.

C’est à la date de 1765 que nous trouvons l’observateur expérimenté, sagace, en pleine possession de son jugement, de ses relations, de ses facultés. Il a quarante-huit ans ; il a traversé la politique, et, sans y porter aucune ambition personnelle, il n’a pas cessé de donner toute son attention aux graves événemens qui ont passionné les luttes parlementaires de son pays. Ses lettres à sir Horace Mann, ministre plénipotentiaire à Florence, font foi de sa sollicitude pendant ces vingt-six années. Il y juge les événemens avec un patriotisme sincère, les partis avec une clairvoyance qui n’est pas sans ironie, les hommes avec une amertume souvent passionnée. « Le gouvernement et l’opposition me tourmentent également avec leurs affaires, écrivait-il en 1762, quoiqu’il soit évident que je m’en soucie comme d’un fétu de paille. Je voudrais être assez grand pour leur dire, comme cet officier français au théâtre à Paris, en sa retournant vers le parterre qui le provoquait : Accordez-vous, canailles ! » Son voyage de 1765 eut pour occasion déterminante une déconvenue assez bizarre, comme il en arrive parfois à ces hommes de talent qui vivent sur la marge de la politique sans aucun désir vif d’y entrer plus avant, manifestant même à l’occasion une certaine répugnance à toute immixtion de ce genre, mais très mécontens qu’on les prenne au mot et qu’on ne leur laisse pas au moins le mérite du refus, quand leurs amis et leurs doctrines arrivent au pouvoir. C’était le moment où les whigs, qu’il avait si longtemps appuyés de ses conseils et de ses votes, entraient aux affaires. Le marquis de Rockingham succédait à George Grenville, et le cousin de Walpole, le général Conway, son ancien condisciple et son plus cher ami, devenait secrétaire d’état. « Je fus assez mortifié, nous dit Walpole, lorsque M. Conway apporta près de mon lit, où j’étais retenu par la goutte, les plans proposés pour la nouvelle combinaison politique, de voir que mon nom n’avait pas même été mentionné. On savait bien, il est vrai, que je ne voulais rien