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circonstances si pénibles, le fondateur de la mission de Tananarive ne songea plus qu’à revoir son pays natal. Ses confrères ne jouirent plus que d’une certaine tolérance : ils pouvaient encore opérer des conversions, répandre les livres saints traduits en langue malgache ; mais des signes de conflits prochains se manifestaient : devenus nombreux dans la province d’Imerina, les chrétiens se trouvaient exposés à entendre des paroles de mépris de la part des idolâtres. Enfin la reine et les ministres, s’alarmant des progrès du christianisme, interdirent l’arrivée ou le séjour de nouveaux missionnaires ; à l’égard de ceux qui depuis de longues années habitaient Tananarive, on gardait quelques ménagemens, parce qu’ils avaient fait connaître l’art de travailler le bois et le fer, ainsi que la construction de certaines machines.

Le 26 février 1835, les missionnaires furent appelés pour entendre une communication de la reine. Ranavalona déclarait les Européens libres de pratiquer leur religion et de conserver leurs usages ; seulement elle ne permettait pas qu’on changeât les coutumes de ses ancêtres, et jugeait coupables ceux qui violaient la loi du pays. Le service religieux du dimanche, la pratique du baptême, les réunions, étaient désormais défendus. « S’il s’agit seulement, disait la reine, de la connaissance des arts et des sciences qui seront profitables à mes sujets, alors instruisez, car c’est pour le bien. » Il y avait dans ces paroles une leçon bonne à recueillir pour les nations et les gouvernemens d’Europe qui prétendent introduire la civilisation chez les peuples réputés idolâtres. Une grande assemblée populaire ayant été convoquée dans la province d’Imerina, un édit de la reine signifia les résolutions prises touchant la religion des étrangers. Les personnages de la cour qui avaient embrassé le christianisme furent dégradés ou placés dans des rangs inférieurs. Beaucoup de chrétiens cessèrent toute pratique ; d’autres, vraiment convertis, voulurent persévérer. Les missionnaires ne perdirent pas courage absolument, — ils conservaient le droit d’enseigner la lecture, l’écriture et l’arithmétique. La persécution devint continuelle, violente, acharnée. Alors les membres de la mission, incapables de lutter plus longtemps, quittèrent Madagascar à la fin de l’année 1835 et au commencement de l’année 1836, croyant le christianisme déjà suffisamment enraciné parmi les Ovas pour n’être pas détruit ; mais la fureur redoubla contre les malheureux élèves des étrangers, on ne compta plus les victimes. Le récit de la persécution des chrétiens de Madagascar a été tracé dans tous ses détails par d’anciens missionnaires[1].

  1. Voyez Ellis, History of Madagascar, surtout J. Freeman and D. Johns, A Narrative of the persécution of the christians in Madagascar, London 1840.