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dansait, et déclarait n’avoir jamais éprouvé de sa vie un égal plaisir.

Les négociations paraissaient en bonne voie ; des marchands venus à Tananarive pour acheter des esclaves avaient été congédiés. Cependant des personnages, fort émus à l’idée de renoncer à une pratique qui les enrichissait, conseillaient au roi de ne pas céder, et l’agent anglais n’obtenait aucune réponse catégorique. Des scènes dont M. Hastie fut témoin pendant son séjour à la capitale de Madagascar permettent d’apprécier le caractère et les sentimens de justice des Ovas. Des criminels conduits devant un tribunal faisaient passer des pièces de monnaie aux juges et s’assuraient ainsi d’un acquittement. Les épreuves par le poison ou par tout autre procédé du même genre étaient en usage, comme chez les peuplades de la côte orientale dont Flacourt a décrit les mœurs. Une sœur du roi se trouva malade ; on soupçonna les quatre suivantes de la princesse d’en être la cause. Soumises à la stupide épreuve, trois des malheureuses filles furent déclarées coupables et condamnées à mort. M. Hastie essaya de les sauver, Radama demeura inflexible ; les prétendues criminelles, traînées sur un rocher, eurent les doigts, les bras, les jambes, le nez, les oreilles coupés avant d’être précipitées du haut en bas. La foule s’amusa beaucoup du spectacle ; les enfans ne se lassaient pas de jeter des pierres sur les corps affreusement déchirés. — Il y avait bien à faire pour civiliser de pareilles gens, même l’homme le plus éclairé de sa nation.

Impatienté de n’avoir aucune solution, M. Hastie témoigna souvent l’envie de quitter Tananarive ; le roi s’efforçait toujours de le retenir. Sortant un peu de sa réserve habituelle, Radama consentit à s’expliquer : il se montrerait disposé à mettre un terme au trafic des esclaves, si le gouvernement britannique voulait l’approvisionner d’armes et de munitions. Ces objets étaient fournis par des marchands français qui abandonneraient le pays dès l’instant que la traite ne serait plus permise ; alors des chefs puissans attaqueraient le territoire des Ovas, si l’on n’avait plus les moyens de les repousser. L’accord s’étant établi, l’agent anglais partit de la capitale au milieu de marques de respect, emmenant quatre jeunes gens confiés par le roi pour apprendre la musique militaire. A peine arrivé à Maurice, M. Hastie, ayant informé sir Robert Farquhar des résultats de sa mission, dut retourner immédiatement à Tananarive. Malgré son autorité absolue, le roi demeurait plein d’hésitation ; très enclin à trouver impossible l’exécution de la mesure qu’on lui proposait, il craignait aussi d’agir contre son intérêt particulier. Se tenant sur la défensive, il unit par rappeler à son interlocuteur qu’une fois il lui avait dit un mensonge.

La persévérance de l’envoyé britannique était infatigable. Le