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s’épuise à chercher partout des expédiens bâtards pour échapper à la république, sans recourir à la monarchie. Les uns accepteraient le mot, pourvu qu’on n’eût pas la chose ; les autres consentiraient à la chose, pourvu que le mot fût proscrit ; d’autres enfin ne tolèrent à aucun prix ni le mot, ni la chose. Il y en a qui se résigneraient de bon cœur, pourvu que la république eût pour président tel ou tel personnage de leur choix. Si c’est là tout le bagage de l’opposition, qu’elle attende au moins pour déclarer la guerre au gouvernement l’heure prochaine de la libération du territoire. Que momentanément elle se résigne à n’exercer qu’une partie de ses droits parlementaires et à se contenter d’une souveraineté un peu idéale. Il en est ainsi de toutes les assemblées uniques, dont rien ne limite les droits : leur toute-puissance même est l’origine de leur faiblesse, car elle les oblige à abdiquer tous les jours en détail entre les mains de l’homme à qui elles délèguent le pouvoir. Le chef du gouvernement changerait qu’il en serait encore de même. Ne nous révoltons pas contre la force des choses, ce qui est la pire des folies humaines ; supportons-nous les uns les autres, et laissons du moins sans trop d’impatience le pays décider entre nous.

La sagesse du pays dépend d’ailleurs beaucoup de la nôtre. Il ne s’agit pas tant, comme l’opposition se le figure, de s’emparer des ministères et de mettre un homme de paille à la présidence lors des élections prochaines que de donner de bons exemples à la France. La question, je le veux bien, n’est plus de savoir si l’on votera pour la monarchie ou pour la république : là-dessus, le choix du pays n’est pas douteux à l’heure qu’il est, et, s’il avait encore une hésitation, l’opposition de droite se chargerait de la vaincre. Mais les futures élections seront-elles modérées ou violentes ? C’est de là que dépend le salut de tout le monde et l’avenir de la république elle-même. Or elles seront forcément violentes, si les hommes qui représentent le parti conservateur ne donnent pas eux-mêmes l’exemple de la modération et de la prudence. Peut-être au fond certains d’entre eux préfèrent-ils les solutions violentes, parce qu’ils voient dans le succès du radicalisme un espoir de réaction prochaine. Ils pensent que le bien pourrait sortir de l’excès du mal, et ils spéculent d’avance sur les désordres qu’ils comptent provoquer. Un député royaliste n’écrivait-il pas dans un ouvrage récent[1] que l’avènement de la droite au pouvoir ne manquerait pas de soulever des troubles, mais qu’il ne fallait pas s’en inquiéter, car ces troubles mêmes feraient sa force en lui fournissant l’occasion de réunir tous les hommes d’ordre pour écraser le parti radical ? Ainsi l’on

  1. Quelques mots sur la situation, par le marquis de Castellane.