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promesse, ou plutôt elle a cessé de l’attendre, et elle n’y pense même plus. La constitution est indéfiniment ajournée, comme le couronnement de l’édifice l’était sous l’empire. L’assemblée elle-même sent très bien qu’après avoir si longtemps navigué sous pavillon neutre, il est bien tard pour arborer ses couleurs. Toute constitution qu’elle essaierait de faire marquerait d’ailleurs la fin de ses pouvoirs ; ce serait une sorte de testament final après lequel sa succession serait ouverte, et dont rien ne lui garantirait l’observation. Personne ne prendrait au sérieux ce dernier effort d’un pouvoir expirant pour essayer d’enchaîner la volonté nationale et de s’emparer de l’avenir. Ses héritiers seraient les premiers à déchirer son ouvrage pour le recommencer. D’ailleurs la majorité serait trop incertaine, trop partagée, pour que son choix eût la moindre autorité sur le pays. Soit dans un sens, soit dans l’autre, elle manquerait de force et de prestige. Qu’on se figure la république ou la monarchie proclamée à la différence de vingt voix ! Que de luttes, que d’agitations, que de provocations, que de colères, pour aboutir à ce résultat mesquin, d’où sortirait peut-être une guerre civile ! Dans tous les cas, que d’incohérences, que de compromis fâcheux entre des opinions contraires, que de résistances systématiques à prévoir de la part des vaincus ! Quant à l’ingénieux procédé d’une constitution anonyme, s’appliquant indifféremment à la république ou à la monarchie, de sorte que l’assemblée actuelle aurait posé les bases du gouvernement, et qu’il ne resterait à l’assemblée prochaine qu’à lui donner un nom, c’est un spirituel paradoxe mêlé de quelque naïveté. Les institutions qui conviennent à la monarchie ne conviennent pas toutes à la république. Quelle que soit celle des deux qu’on préfère, il ne faut pas se flatter de les introduire incognito dans la place. On s’exposerait d’ailleurs à d’étranges surprises le jour où il faudrait jeter le masque et avouer leur vrai nom.

On le voit, il est plus facile de parler d’une constitution que d’en faire une. Le programme le plus naturel et le plus conforme aux circonstances était encore celui de Bordeaux, devenu quelques mois plus tard celui des élections du 2 juillet : l’union provisoire de tous les partis sous un gouvernement purement national, et l’ajournement des questions constitutionnelles aux élections de la future assemblée. C’est encore à ce programme que les conservateurs de bon sens devraient revenir. Cependant, s’ils croient pouvoir mieux faire, s’ils croient pouvoir régler définitivement les destinées de la France, qu’ils en fassent l’essai, — nos vœux les accompagnent dans cette entreprise, pourvu qu’ils comprennent une bonne fois l’impossibilité matérielle de la monarchie et la nécessité de la forme républicaine pour rallier autour d’eux la majorité de la nation.

C’est à cette condition seulement qu’ils peuvent réussir toute