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sentir les limites de son pouvoir. Toute autorité, quoique souveraine, doit encore se soumettre à la force des choses. L’assemblée nationale ne fera pas exception quand son heure sera venue.


II

Puisque la dissolution est impraticable en ce moment, pourquoi n’essaierait-on pas de mettre un terme aux inconvéniens du provisoire en faisant une constitution définitive ? Pourquoi ne conviendrait-on pas de s’en rapporter au choix de l’assemblée et de soutenir unanimement les décisions qu’elle aurait prises ? Ainsi pensent, de part et d’autre, beaucoup de bons esprits, fatigués des incertitudes et préoccupés avant tout de bien définir les pouvoirs, pour revenir à la pratique normale du régime parlementaire. Ils ne se dissimulent point d’ailleurs que, la monarchie étant impossible, c’est à la république qu’il faut recourir.

Un tel acte de résolution a toujours été difficile dans cette assemblée ; il serait à peu près impossible aujourd’hui. Elle est trop divisée pour oser prendre un parti dans des questions si graves ; autant vaudrait tirer au sort entre les diverses formes de gouvernement et les diverses dynasties qui se disputent la couronne. Comme tous les caractères faibles, ce que l’assemblée redoute le plus, c’est d’engager l’avenir. Elle a eu dès l’année dernière, à l’occasion de la proposition Rivet, une excellente occasion d’accepter ou de rejeter la république. Elle ne l’a pas repoussée tout à fait, mais elle y a mis des restrictions et des commentaires qui étaient à cette concession les trois quarts de sa valeur. On se souvient en effet qu’elle ne s’est résignée à consacrer le titre de président de la république que parce qu’elle regardait cette appellation comme un vain mot, et qu’à ses yeux la question de la forme du gouvernement subsisterait tout entière après comme avant. L’acharnement puéril que l’on met encore aujourd’hui à qualifier la république de provisoire, l’amour tardif que l’on éprouve pour le pacte de Bordeaux après l’avoir maudit si longtemps, prouvent que l’assemblée n’est pas disposée à voter une constitution républicaine, et qu’à défaut d’une monarchie elle se réfugiera probablement dans le provisoire autant qu’elle pourra s’y maintenir.

Il y a un an, il est vrai, qu’elle s’est décorée du titre de constituante pour se dédommager d’avoir accordé le titre de président au chef de l’état ; mais ce titre, encore plus que l’autre, est resté pour elle un vain mot. Son droit abstrait n’était guère contestable ; en voulant le proclamer, elle n’a réussi qu’à démontrer son impuissance. Depuis un an, la France attend l’exécution de cette