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incrustations, et que le métal recouvert de ces dépôts s’échauffe et se brûle en peu de temps ; mais c’est en 1867 seulement que l’on s’est lui aperçu que les eaux grasses produisent un effet également délétère. En d’autres circonstances, on avait vu des chaudières éclater sans cause apparente à l’instant où l’on reprenait le travail après un intervalle de repos, soit le matin à l’ouverture des ateliers, soit dans la journée après le dîner des ouvriers. On se l’est expliqué par une étude plus attentive des phénomènes qui se produisent pendant l’ébullition de l’eau. Les curieuses expériences de M. Boutigny sur le degré de température que l’eau peut atteindre sans se vaporiser ont contribué à éclaircir ces questions obscures. Quant à l’électricité, que quelques personnes veulent faire intervenir en cette affaire pour expliquer des phénomènes qui semblent incompréhensibles, rien né prouve qu’elle soit capable de déterminer une explosion.

En définitive, de toutes les recherches minutieuses auxquelles on s’est livré depuis une vingtaine d’années sur les causes d’explosion des chaudières à vapeur, le résultat le plus clair est qu’en pareille circonstance le chauffeur ou le mécanicien est le plus souvent seul coupable. C’est l’artisan et non l’outil qu’il convient d’améliorer. Au fond, cela ne nous déplaît pas. Nous disions en commençant que l’introduction de la vapeur dans l’industrie avait eu pour conséquence de dispenser l’homme des actes de force brutale et de ne lui laisser que le travail intelligent ; n’est-il pas évident que l’homme doit se mettre à la hauteur de ce rôle plus noble que l’invention des machines lui attribue ? — Dans l’industrie moderne, celui qui est ignorant ou négligent compromet, outre sa vie propre, l’existence de beaucoup d’autres individus. De modestes artisans se trouvent investis parfois d’une responsabilité dont on n’avait jadis aucune idée. N’est-ce pas un type tout nouveau de l’ouvrier que ce mécanicien qui, debout sur sa locomotive, le jour sous le soleil brûlant ou la nuit au milieu de la tempête, l’œil au guet, l’oreille attentive, sans autre travail que d’appuyer sur un levier ou de tourner quelques robinets, est traîné aussi vite que le vent par la force que sa main maîtrise ? Que si un danger survient, il doit s’en apercevoir le premier, il en sera la première victime, et pourtant, au lieu de n’avoir à penser qu’à son salut, c’est de son sang-froid et de son habileté que dépend la vie ou la mort de centaines de ses semblables qu’il remorque derrière lui.


H. BLERZY.