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III

Nous arrivons à la locomotive, la plus complexe et en même temps la plus admirable des applications de la machine à vapeur. On conçut de bonne heure l’idée de faire rouler des voitures sur deux bandes de bois ou de métal en vue de diminuer le frottement ; mais ces chemins de fer primitifs étaient à traction de chevaux. Quand on construisit le chemin de Liverpool à Manchester, on pensait tirer les wagons au moyen de longs câbles mus par des machines fixes. Les premiers ingénieurs qui prétendirent mettre sur les rails une machine remorquant derrière elle une file de voitures se heurtèrent à deux difficultés dont il convient de se bien rendre compte, car ce sont encore celles que doit avoir en vue le fabricant d’une locomotive de nouveau modèle ; ces difficultés sont de produire de la vapeur en quantité suffisante et d’empêcher les roues de tourner sur place au lieu d’avancer, ce que l’on appelle plus simplement en termes d’atelier la surface de chauffe et l’adhérence.

Que l’on se représente le travail opéré dans une machine en mouvement. A chaque coup de piston, le cylindre tire de la chaudière un volume de vapeur précisément égal à la capacité intérieure du cylindre : plus le moteur doit donner de puissance et de vitesse, plus le cylindre doit être gros, et plus les coups de piston doivent être fréquens, — plus par conséquent la consommation de vapeur doit être abondante ; d’une autre part, la chaudière ne peut fournir de la vapeur qu’à proportion de la chaleur qu’elle reçoit, c’est-à-dire à proportion de la surface exposée au contact de la flamme. De là vient la nécessité de donner des dimensions énormes aux générateurs de vapeur. Pour une machine fixe de 50 à 80 chevaux, la chaudière a plus de 6 mètres de long, 1 mètre de diamètre ? elle est accompagnée de deux bouilleurs qui ont chacun même longueur et 50 centimètres de diamètre. C’est un monument d’un tel volume et d’un tel poids que l’on ne pourrait, avec le mécanisme moteur, le charger sur un seul wagon. Ce n’est pas tout : comment suppléer à la haute cheminée d’usine, dont le rôle est non pas seulement d’évacuer au loin les gaz de la combustion, mais aussi d’activer le tirage du foyer ? Robert Stephenson résolut la difficulté par deux innovations ingénieuses : il mit le foyer au centre de la chaudière, et fît sortir la flamme et la fumée par des tubes de petit diamètre qui traversent la masse d’eau à vaporiser. Ce fut la chaudière tabulaire, dont la priorité a été revendiquée avec quelque raison par M. Séguin. En second lieu, Stephenson fit déboucher dans la cheminée la vapeur issue du cylindre, ce qui produisit dans le foyer un appel